Le 7 septembre 2007, par Jeff,
La ceinture du Limpopo, dans le Nord de l’Afrique du Sud, correspond aux racines granulitiques d’une ancienne zone de collision. Là, les roches sont souvent partiellement fondues.
Le terme de « granulite » est un terme d’usage ; il est utilisé de façon plus ou moins rigoureuse pour désigner des roches équilibrées dans les conditions du faciès (métamorphique) des granulites, c’est à dire, grossièrement, plus de 700 ºC et moins de 12 kbar. Dans la mesure où ce mot peut désigner à la fois un faciès métamorphique, des roches acides (« granulites felsiques » et des roches basiques (« granulites mafiques »), l’IUGS recommande qu’il ne soit pas utilisé pour donner un nom à une roche – mais les habitudes ont la vie dure.
Dans les conditions du faciès granulite, les minéraux hydroxylés (mica, amphibole) sont généralement instables. Les roches granulitiques sont donc minéralogiquement dominées par le plagioclase et le pyroxène. Le grenat est un composant fréquent ; cordiérite et silicates d’alumine (sillimanite ou disthène) sont parfois présents (dans les roches alumineuses). La biotite et l’amphibole sont le plus souvent absentes.
Les « granulites acides » sont typiquement à plagioclase, feldspath potassique, orthopyroxène, grenat et/ou cordiérite, parfois silicates d’alumine ; les « granulites basiques » présentent classiquement plagioclase, ortho- et clinopyroxène, parfois grenat et/ou amphibole.
Origine :
Dans le cas de roches felsiques (pélites, granites), les conditions du faciès granulitique correspondent à des roches équilibrées au-delà (à plus haute température) de la réaction :
biotite + quartz ± sillimanite = feldspath K + orthopyroxene/grenat/cordierite + H2O (1)
(il s’agit en fait d’un groupe de réactions, le minéral se formant à droite pouvant être l’un des trois mentionnés)
De telles roches peuvent se former de plusieurs façons :
Si il reste suffisamment de quartz et que du plagioclase est présent, la réaction quartz + feldspath K + plagioclase + H2O = Liquide se déroule (dans la plupart des cas, elle se trouve à des températures plus faibles que celles de la réaction (1) ). On forme donc du liquide et de l’orthopyroxène (et/ou grenat), le bilan réactionnel est de la forme
Bt + Qz + Pg = Opx/Grt + Liquide
C’est ce qu’on appele une réaction de fusion incongruente, qui produit à la fois du liquide, et un nouveau minéral (ici, l’orthopyroxène ou le grenat).
L’entrée en faciès granulite se traduit par une fusion partielle, et les granulites sont des migmatites, ou des restites si le liquide est extrait.
Si la réaction de fusion n’est pas possible, pour différentes raisons (un réactif est manquant, on se trouve en dessous de la température de fusion, etc.), de l’eau est libérée par la réaction (1). Cette eau peut être évacuée de la roche (par percolation, circulation dans des zones de cisaillement, etc.).
Pour des roches basiques (basaltes), on peut de la même façon obtenir des roches équilibrées dans le faciès granulite soit par cristallisation d’un magma directement dans ces conditions, soit par métamorphisme d’un protolithe basique. La déshydratation se fait, de façon similaire, par des réactions de déstabilisation de l’amphibole ; diverses réactions sont possibles, par exemple :
Amp + Qz = Opx + Cpx + Pl + H2O
Cette réaction se déroule à plus haute température (900 ºC) et peut elle aussi se combiner avec une réaction du type
quartz + albite + H2O = Liquide
pour former du liquide, et des phases péritectiques, ici ortho- et clinopyroxène.
Nomenclature :
Si il s’agit de roches métamorphiques, l’IUGS (reprenant largement les usages des géologues) propose de nommer les roches en fonction (1) de la nature de leur protolithe, si il est connu (2) de leur texture. On parlera donc, par exemple, de « métapelites (granulitiques) », si la composition du protolithe est connue ; ou de « gneiss granulitique » (la composition du protolithe ne l’est pas). L’IUGS propose en fait de ne pas utiliser le terme « granulitique », et de parler plutôt, par exemple, de « métapélite à grenat-pyroxène ». Mais l’habitude de singulariser les granulites est fortement ancrée.
Quand il s’agit de roches d’origine magmatiques acides (« granitoïdes à orthopyroxène »), on parle de « roches charnockitiques » . Comme ce sont des roches plutoniques, elles sont nommées sur la base de la classification de Streckeisen, avec les équivalences suivantes :
Place dans la classification de Streckeisen | Roche charnockitique équivalente |
---|---|
Granite à orthopyroxène | Charnockite |
Granodiorite à orthopyroxène | Charno-enderbite |
Tonalite ‘ ‘ | Enderbite |
Monzonite ‘ ‘ | Mangerite |
Monzonorite, monzodiorite ‘ ‘ | Jotunite |
Les roches charnockitiques ont en général une allure caractéristique, avec un aspect gras, brun à kaki, et un grain assez gros.
Il n’existe pas de noms particuliers pour les magmas basiques ayant cristallisé en faciès granulite.
Pour des roches d’allure charnockitique (que leur origine soit ou non magmatique), on peut utiliser des termes comme « gneiss charnockitique ».
La ceinture granulitique du Limpopo (« Limpopo belt ») correspond à une bande de granulites large de 200 kilomètres, bordant le craton du Kaapvaal sur sa marge Nord et le séparant de son voisin au Nord, le craton du Zimbabwe. Les granulites enregistrent des conditions métamorphiques de 6 à 10 kbar pour des températures avoisinant les 800ºC (donc au delà du solidus, les granulites du Limpopo sont souvent partiellement fondues). Des zones de cisaillement verticales, et des chevauchements, affectent les granulites.
Les protolithes des granulites du Limpopo étaient des roches magmatiques ou supracrustales, plus ou moins similaires à celles formant les cratons voisins. Mais à l’échelle cartographique, le contraste entre la ceinture du Limpopo et les deux cratons voisins est spectaculaire. Alors que les cratons se composent de roches en faciès schiste vert ou amphibolite, avec des ceintures de roches vertes de quelques dizaines de kilomètres, les granulites du Limpopo ont une structure plus chaotique, avec des étroites imbrications entre des petits fragments de roches supracrustales et d’orthogneiss, à l’échelle hectométrique ou inférieure.
Globalement, la ceinture du Limpopo représente une orogénèse de type collision continent-continent, entre le craton du Kaapvaal et celui du Zimbabwe. Cependant, en détail les choses sont un peu plus compliquées. L’âge de cette orogénèse, en particulier, est discutée. On trouve la trace de deux épisodes géologigues, à environ 2.5 Ga et 2.0 Ga. L’importance relative des deux est discutée.
Les photos présentées ici proviennent d’un affleurement situé dans la zone marginale Sud (SMZ), au Sud de la ville de Louis Trichardt. Il s’agit surtout de métapelites (localement connu comme « gneiss de Banderlierkop »). Elles illustrent le rôle des réactions évoquées plus haut dans la formation des granulites, et la continuité génétique entre métamorphisme et fusion.
Les réactions de fusion : des réactions métamorphiques comme les autres ?
Les roches les plus spectaculaires sont des métapelites partiellement fondues, à grenat (ce sont donc des migmatites). Le plus souvent, le grenat est nettement associé aux liquides anatectiques, de couleur blanche. Dans ces roches alumineuses, le minéral péritectique est le grenat.
De petites variations de composition ont un effet sensible sur la réaction de fusion. En effet, la réaction de déstabilisation de la biotite (réaction 1 plus haut) se déroule à des températures légèrement différentes en fonction de la composition de la roche (Ti et Mg). On voit ici un litage compositionnel (habituel dans des métasédiments) ; les niveaux probablement moins magnésiens ont vu la réaction de fusion se dérouler, et sont des migmatites à grenat. Les niveaux plus magnésiens (ici à grain plus fin) n’ont pas subi cette réaction : le grenat comme le liquide en sont absents.
Dans des roches différentes, moins alumineuses (ici, des orthogneiss de la Zone Centrale), la réaction de fusion incongruente (déstabilisation de la biotite et fusion associée) produit de l’orthopyroxène : le protolithe ne contient pas assez d’aluminium pour former du grenat. On observe donc des petits leucosomes, ici associé à de l’orthopyroxène. On note que la production de liquide semble plutôt moins importante dans ce cas, les leucosomes sont de taille plus petite et moins abondants que dans le cas précédent.
On constate ici que la fusion partielle se déroule suivant des réactions qui sont tout à fait semblables aux réactions métamorphiques ; on peut observer et décrire la fusion dans les mêmes termes que le métamorphisme.
Mouvement et extraction de liquide
Une différence importante entre phases métamorphiques et liquides magmatiques est la mobilité des magmas, qui peuvent facilement se déplacer et être extraits de la matrice solide. Des preuves de cette mobilité sont facilement observées à l’affleurement, sous forme d’accumulation de liquides entre des boudins tectoniques, ou de petits filons de liquide sécants sur la foliation. Dans presque tout les cas, le grenat – formé par la réaction de fusion, et donc désolidarisé de la matrice solide—est entraîné avec le liquide ; les filons et poches de liquide sont donc, en fait, formés de liquide riche en grenat.
A l’occasion, le mélange liquide-grenat peut être bloqué et ne plus se déplacer en masse. Dans ce cas, il est possible au liquide de percoler au travers du système partiellement fondu et de s’échapper, laissant derrière lui des accumulations de cristaux de grenat, qui marquent l’emplacement d’un ex-filon de magma qui a perdu son liquide.
Refroidissement in-situ
Lors du refroidissement des roches partiellement fondues, elles traversent vers les basses températures les réactions décrites. Il est donc possible de faire réagir grenat + liquide pour former de la biotite (et des minéraux clairs). C’est ce que l’on observe aisément si on regarde de plus près les grenats associés aux liquides migmatitiques : presque tous sont entourés d’un petit liseré de biotite.
van den Berg, R. and J. M. Huizenga (2001). "Fluids in granulites of the Southern Marginal Zone of the Limpopo Belt, South Africa." Contribution to Mineralogy and Petrology 141(5) : 529-545.