Le 10 avril 2007, par Jeff,
Les stromatolithes sont les plus anciennes structures que l’on peut rattacher à une activité biologique ; ils sont assez communs dans les carbonates précambriens.
Avril 2007, avec la participation de Pierre Thomas
Ce texte est également publié sur Planet-Terre
Les stromatolithes sont des constructions fossiles, formées de carbonates. Ce sont parmi les plus anciens fossiles connus, et certainement les plus anciens macrofossiles ; on en connaît depuis 3.5 Ga (en Australie). Ils sont formés en général par des cyanobactéries (« algues bleues ») photosynthétiques, qui existent encore à l’heure actuelle.
Parmi les constructions sédimentaires (le plus souvent) carbonatées, formées d’une superposition de lamines millimétriques précipitées par des processus chimiques ou biochimiques, les stromatolithes se distinguent (de façon plus ou moins claire) par deux critères :
Il doit s’agir de structures d’origine biologique ; les lamines sont le résultat de l’activité biochimique de micro-organismes, principalement des cyanobactéries ;
Il doit d’agir de structures avec une morphologie qui se développe à partir d’un point ou d’une zone relativement restreinte (par opposition à des encroûtements continus). Ce sont donc des colonnes, des dômes ou des cônes.
On voit que les stromatolithes ne sont qu’un cas particulier de toutes sortes de concrétions laminaires, qu’ils soient abiotiques (quoique la plupart des structures laminaires soient plus ou moins directement liées à une activité biologique) ou liés à l’activité biologique de différentes classes d’êtres vivants allant des cyanobactéries aux eucaryotes (algues vertes). Ces concrétions incluent par exemple des stalactites ou des travertins, ou encore des encroûtements en films continus. Les limites de la définition sont donc floues.
Dans ce texte, on se limite aux structures liées à l’activité de cyanobactéries, en se concentrant sur les structures à la morphologie plus ou moins en dômes (par opposition aux encroûtements continus). Il convient cependant de noter que les cas où la présence de cyanobactéries est vraiment démontrée sont rares – dans la plupart des cas, on ne voit que la morphologie en dômes, et c’est uniquement par analogie qu’on l’attribue aux cyanobactéries.
Les stromatolithes sont importants dans l’histoire de la Terre pour deux raisons essentielles : (1) ce sont les plus anciennes structures d’origine biologique reconnaissables à l’échelle de l’affleurement, connues dès 3.5 Ga environ ; (2) leur existence de façon si précoce dans les enregistrements fossilifères démontre (a) que les cyanobactéries sont un groupe qui s’est différencié très tôt dans l’histoire de la vie ; (b) que la photosynthèse est apparu de façon très précoce sur Terre (3.5 Ga, peut être même avant). En particulier, les cyanobactéries semblent les seuls êtres photosynthétiques présents entre 2.5 et 2.0 Ga, au moment où l’atmosphère est devenue oxydante ; ce sont donc ces êtres vivants qui sont responsables de la dissociation du CO2 et de l’évolution vers une atmosphère moderne, à O2 (voir ici la discussion sur l’évolution de l’atmosphère).
NB- Ce sont des stromatolithes – de stroma, « tapis » et lithos, « roche ». Il n’y a pas de h après le premier t, ce ne sont pas des stromatholithes ! En anglais, on écrit stromatolite (sans h après le second t) : pensez-y si vous faites des recherches sur google…
Ce sont des eubactéries photosynthétiques. Ils ne possèdent pas de chloroplastes, les systèmes chlorophylliens sont localisés sur des thylakoïdes libres dans le cytoplasme (chez les eucaryotes, les thylakoïdes forment des piles – les « grana »— dans les chloroplastes).
Les cyanobactéries actuelles peuvent être des unicellulaires indépendants ou filamentaires, et peuvent être coloniales. Elles forment alors des « tapis » bactériens (« microbial mat ») qui recouvrent la surface du sol. On en trouve par exemple associé à des sources chaudes (comme à Yellowstone), mais toutes les cyanobactéries ne sont pas thermophiles ! Il en existe qui se plaisent à des températures plus modérées ; elles forment par exemple les pellicules noires ou verdâtres, un peu gluantes, que l’on peut trouver sur des rochers humides.
Les cyanobactéries sont au moins tolérantes aux milieux anaérobies, ou ont une préférence pour ces conditions. On les trouve donc préférentiellement dans ce genre de milieux – que ce soit parce que c’est leur environnement de prédilection, ou simplement parce que c’est le seul où la concurrence d’espèce oxygéno-tolérantes ne leur nuit pas.
Les constructions biogéniques laminaires, formées par les cyanobactéries, sont appelées stromatolithes. Il s’agit le plus souvent de carbonates, mais il peut y avoir des "stromatolithes" siliceux.
Deux modèles de croissance sont possibles :
(1) le piégeage mécanique de minéraux sous la surface des mattes bactériens, suivi du dépôt (mécanique) de nouveaux grains, eux-même à leur tour encroûtés par la matte ;
(2) La précipitation biochimique de minéraux, par exemple liée à l’activité photosynthétique. Dans ce cas, la précipitation se fait par le couplage des deux réactions suivantes :
(a) la photosynthèse (effectuée par les cyanobactéries) : CO2 + H2O = CH2O + O2
(b) la précipitation des carbonates : 2 HCO3- + Ca++ = CaCO3 + CO2 + H2O
Dans un système où des ions carbonates (ou hydrogénocarbonates) existent en solution, on voit donc que, si on soustrait du CO2 au système, l’équation (b) est déplacée vers la droite, c’est à dire vers la précipitation de carbonates, et la libération de CO2. La photosynthèse (équation (a) ) consomme du CO2, si bien qu’elle induit localement la précipitation de carbonates.
D’autres actions chimiques (par exemple modifications du pH liée à la présence de matière organique) peuvent aussi déplacer l’équilibre (b) et causer la précipitation de carbonates.
Dans les deux cas, la « couche » de bactéries est étouffée par les minéraux, et une nouvelle couche bactérienne se forme sur ce nouveau substrat, ce qui résulte en une structure en couches concentriques, alternativement minérales et riches en fossiles de cyanobactéries.
Il faut noter que des structures laminaires avec des morphologies similaires peuvent exister, catalysées par l’action d’autres formes de vies (algues vertes), voire abiotique.
Les stromatolithes peuvent adopter une grande variété de formes, depuis des tapis bactériens légèrement onduleux, jusqu’aux spectaculaires formes en boules ou en colonnes, les plus connues. Si les différences géométriques sont assez faciles à reproduire par des modèles mathématiques, en revanche ce qui détermine ces variations est mal compris.
Morphologie quantitative
On peut décrire mathématiquement, de façon assez simple, les différentes formes des stromatolithes ; deux paramètres sont suffisants pour reproduire la diversité des formes observées. L’un (G, sur la figure) est lié au degré d’anisotropie de la croissance du stromatolithe (pour des G élevés, la croissance se fait à la même vitesse dans les directions verticales et horizontales) ; l’autre (E sur la figure) représente l’ellipsité du substrat d’origine (pour des E élevés, on part d’un substrat déjà très allongé verticalement, alors que pour des E faibles on part d’un substrat applati).
Diverses approches par modélisation mathématique des phénomènes de croissance, arrivent aussi à assez bien reproduire (empiriquement) la diversité des formes de stromatolithes. Par exemple Dupraz (2006), avec un modèle simple où les stromatolithes se construisent par « piégeage » de particules en suspension dans le milieu, montre que deux paramètres (une « distance d’attraction », qui est la distance à laquelle le stromatolithe attire les particules libres ; et une « distance de stabilité », qui est la distance que peuvent parcourir les particules déjà fixées pour acquérir une position plus stable au point de vue gravité ou énergie de surface) suffisent à balayer l’ensemble du champ morphologique des stromatolithes.
Les problèmes inhérents à ces approches sont le manque de contrôle biologique ou environnemental : ces paramètres mathématiques, si ils décrivent certes les formes des stromatolithes, ne permettent pas de prédire comment des facteurs comme la température, la salinité, la profondeur, l’éclairement, etc. vont jouer sur la croissance des stromatolithes.
Répartition des morphologies et paléo-environnements
1) De façon empirique, il a parfois été possible de relier la paléogéographie aux formes des stromatolithes, par exemple pour les sédiments du Protérozoïque inférieur dans le Supergroupe du Transvaal (Eriksson and Altermann 1998). Dans ces dépôts tidaux ou subtidaux, on observe successivement :
En milieu intertidal, des dômes surbaissés, puis des stromatolithes en colonnes assez élevées, ou en champignon (ce sont les stromatolithes « classiques », que l’on observe à Shark Bay (Hamelin Pool) ) ;
Dans la zone d’agitation des vagues, où les conditions sont trop agitées pour permettre des grandes constructions, on trouve surtout des oncolites (des petits encroûtements formant des billes millimétriques ou centimétriques) ;
Puis, en dessous du niveau d’agitation des vagues, des dômes allongés dans la direction du courant, de taille de plus en plus grande quand la profondeur augmente (de tels dômes sont aussi présents à Shark Bay, bien que moins connus !)
2) Les stromatolithes du Protérozoïque supérieur et du Précambrien adoptent souvent, dans la zone intertidale, des formes en colonnes hautes et étroites
3) Dans d’autres contextes, cependant, les stromatolithes adoptent des morphologies différentes. Ainsi en Limagne, en milieu probablement lacustre, on observe des stromatolithes en boule (Jussat), mais aussi des encroûtements qui se construisent sur la végétation présente (Chadrat). Ici aussi, les boules correspondent à des milieux proches de la surface. On peut se demander si le terme de stromatolithes est approprié pour les concrétions qui se forment sur les roseaux, comme à Chadrat – quoi qu’il en soit il s’agit bien de concrétions biochimiques, sans doute dues à des cyanobactéries et formées par le même phénomène que les stromatolithes, même si la morphologie est différente.
D’autres concrétions calcaires d’origine biologiques sont connues dans divers travertins, par exemple dans le Jura ou en Croatie.
4) Les stromatolithes archéens, par exemple dans la région du Pilbara (Nord-Ouest australien) ne forment quant à eux que rarement de boules, dômes ou champignons, mais plutôt des encroûtements laminaires, à forme ondulante, ou conique. Ils sont associés à des figures comme des fentes de dessication ou des ripple-marks, et l’ensemble de l’affleurement est interprété comme formé en milieu intertidal (Allwood et al. 2006). (Voir l’article « Pilbara »)
A Barberton, on trouve aussi de (rares) stromatolithes dans le Groupe d’Onverwacht. Ils présentent également une morphologie très surbaissée, en encroûtements plats plutôt qu’en dômes.
5) L’ensemble suggère 3 grands types de calcaires biochimiques, liés à des cyanobactéries :
Des stromatolithes « primitifs » archéens, qui apparaissent surtout comme des encroûtements coniques, formant des tapis bactériens ;
Des stromatolithes s.s., en dômes, champignons, colonnes, etc. (Shark Bay, Transvaal, etc.), qui semblent associés à des milieux tidaux et infratidaux à partir du Protérozoïque. On peut s’interroger sur la raison de ce changement de morphologie : est-il du à des facteurs internes (évolution au sein des cyanobactéries), ou externes (on passe d’un milieu sans doute proche de sources chaudes, réducteur, à un milieu plus ouvert et peut-être plus oxydant) ?
Des encroûtements carbonatés qui recouvrent le substrat, en particulier en eau douce ou dans des conditions non tidales (Limagne, rivières et lacs actuels, Yellowstone…).
L’évolution séculaire de l’atmosphère se caractérise par deux tendances majeures :
La diminution du taux de CO2 ;
L’augmentation du taux de O2.
La première est surtout du au piégeage net de CO2 par l’altération des roches : le CO2 est dissous dans l’eau à l’occasion des processus d’altération, puis précipité sous forme de carbonates. Les cyanobactéries sont un agent de cette précipitation. La seconde est due à la dissociation photosynthétique du CO2 en O2. Elle est due également à l’action des cyanobactéries. Dans les deux cas, le changement n’est définitif que si on piège les produits autres : carbonates ou matière organique, ce qui impose des conditions géodynamiques permettant le piégeage de sédiments.
Voir cet article sur ce site, ou celui-ci sur Planet-Terre.
Quelques liens trouvés en préparant ce texte :
http://www.symbiose.asso.nc/res_local/geol/stromato.htm Quelques photos de Shark Bay (FR)
http://www.abdn.ac.uk/rhynie/cyano.htm : les cyanobactéries et stromatolithes de Rhynie, en Ecosse (EN)
http://www.ggl.ulaval.ca/personnel/bourque/s4/stromatolites.html : De nombreux exempls de stromatolithes modernes et fossiles chez Pierre-André Bourque (FR)
http://waynesword.palomar.edu/cyano1.htm : tout sur les cyanobactéries ! (EN)
Publications :
Allwood, A. C., M. R. Walter, B. S. Kamber, C. P. Marshall and I. W. Burch (2006). "Stromatolite reef from the early Archaean era of Australia." Nature 441 : 714-718.
Dupraz, C., R. Pattisina and E. P. Verrecchia (2006). "Translation of energy into morphology : simulation of stromatolite morphospace using a stochastic model." Sedimentary Geology 185(3-4) : 185-203.
Eriksson, K. A. and W. Altermann (1998). "An overview of the geology of the Transvaal Supergroup dolomites (South Africa)." Environmental geology 36(1-2) : 179-188.
Grotzinger, J. P. and A. H. Knoll (1999). "Stromatolites in precambrian carbonates : evolutionary mileposts or environmental dipsticks ?" Annual Review of Earth and Planetary Sciences 27 : 313-358.
Hofmann, H. J. (1973). "Stromatolites : characteristics and utility." Earth Science Reviews 9 : 339-373.
McCarthy, T. S. and B. Rubidge (2005). The story of Earth and life — a southern african perspective. Cape Town, Struik publishers.
Viljoen, M. J. and W. U. Reimold (1999). An introduction to South Africa’s geological and mining heritage. Johannesburg, Geological Society of South Africa.