Le 29 septembre 2006, par Jeff,
Puisque les granites semblent vous plaire, j’ai rajouté un nouvel article montrant des photos des différents types de granites que l’on trouve dans la région de Cape Town.
La Péninsule du Cap, qui s’étend juste au Sud de la ville de Capetown, est surtout formée de sédiments paléozoïques (Cape Supergroup). Ces sédiments reposent en discordance sur un "socle" panafricain, formé (1) des sédiments et des laves du "Malmesbury supergroup" ( > 550 Ma) ; (2) de plutons intrusifs (autour de 540 Ma). En l’occurence, dans la Péninsule, c’est le "Cape Peninsula Pluton".
Le granite affleure principalement en bord de mer, sur une petite bande qu’on retrouve tout autour de la Péninsule. On a donc de superbes affleurements côtiers...
Cet ensemble de sédiments et de laves, parfois légèrement métamorphique (faciès schiste vert) est assez largement étendu, mais affleure très mal. On le voit ici à Gordon’s Bay, petite plage à l’Est de False Bay. C’est l’encaissant du granite.
Le granite lui-même est un granite à gros grains. Il est porphyroïde, c’est à dire que les feldspaths potassiques forment de gros cristaux pluricentimétriques dans une "matrice" à grain plus fin (quand même plusieurs millimètres !).
Les minéraux présents sont :
Le quartz (grains arrondis, gris) ; le feldspath potassique (gros cristaux rectangulaires, mais on en trouve aussi dans la matrice) ; le plagioclase (blanc, dans la matrice). Les proportions relatives de ces trois minéraux sont utilisées dans la classification de Streckeisen, la seule classification "officielle" des roches magmatiques, et permet de donner un nom à la roche — ici, c’est un granite (sens strict).
La biotite (petites tablettes noires). C’est le minéral ferro-magnésien banal des granitoïdes.
La cordiérite, qui forme en l’occurence des prismes à section carré — elle est donc automorphe,sa forme ne dépend que de ses formes crisytallines propres, ce qui indique qu’elle a crût dans un liquide (magma).
Les minéraux accessoires, que l’on ne voit pas à l’oeil nu. Ici, il s’agit probablement d’ilménite, zircon, apatite, peut être un peu de monazite.
La présence de cordiérite, correspondant à une nature chimique riche en aluminium, correspond à un type de granite qualifié de "type S". Ces granites sont probablement issus de la fusion partielle de roches sédimentaires, ici certainement les sédiments du Malmesbury group voisin.
De nombreuses enclaves sont présentes dans la roche ; elles forment parfois des amas, qui correspondent peut être à des accumulations "mécaniques", sous l’effet de courants dans le magma.
La plupart de ces enclaves sont des fragments anguleux de roches semblables à celles de l’encaissant (Malmesbury Supergroup), probablement arrachées lors de la mise en place du granite : c’est ce qu’on appelle des xénolithes.
Enfin, entre ces enclaves, on trouve parfois du grenat :
Ce minéral alumineux lui aussi est classique dans les granites de type S. Ici, le grenat est fréquemment automorphe, ce qui trahit là encore une origine magmatique.
C’est à partir de ce pluton (et de ses équivalents, plus au Nord) que nous avons proposé un modèle de formation pour (certains des ?) granites de type S. L’article correspondant est accepté à Geology.
Comme tout les plutons de type S, celui de la Péninsule s’est formé par fusion partielle de sédiments (Malmesbury Supergroup, ou équivalent en profondeur). Mais les études expérimentales montrent que la fusion de ce genre de sédiments ne produit pas tout à fait un liquide de composition appropriée. En particulier, les liquides "expérimentaux" sont plus riches en silice, plus pauvres en fer et magnésium que les granites de la Péninsule.
Nous pensons que le grenat observé est un minéral péritectique, c’est à dire formé lors de la réaction de fusion, en même temps que le liquide. Ensuite, lors de l’ascension du magma, le grenat a été entraîné avec le liquide, si bien que c’est en réalité un système composite (liquide + grenat péritectique + sans doute des enclaves) qui est monté.
La composition chimique actuelle du granite s’explique très bien par un mélange entre un liquide (similaire aux liquides expérimentaux), et du grenat (analogue au grenat péritectique formé lors des réactions expérimentales)
Au fur et à mesure de la remontée du magma, le grenat a progressivement été destabilisé (c’est un minéral qui n’est pas stable à basse pression), et a été remplacé par de la cordiérite — le tout se déroulant dans le magma, par des réactions de la forme
Liq1 + Grt = Liq2 + Crd
C’est la raison pour laquelle le grenat est rare, et préservé uniquement de façon accidentelle, dans des petites "hétérogénéités" de composition. La cordiérite à l’inverse a bel et bien crû dans un liquide, d’où sa forme automorphe.
Ce modèle fait un peu évoluer les perspectives sur la formation des granites et leur mise en place : si notre modèle est exact, (1) les roches observées à l’affleurement (granites) sont en fait des roches complexes, composites — un mélange de liquide magmatique gelé et de minéraux qui sont toujours resté solides ; (2) tout les processus de mouvement et de mise en place des granitoïdes sont à interpréter comme des déplacements, non pas de liquides, mais de "mush", de mélange liquide+solide.