Le 25 août 2006, par Jeff,
Ecrit pour fsg en Novembre 2004
En fait, il y a plein de, disons, "sous-méthodes" qui tournent autour du couple U-Pb, ou plutôt des couples U-Pb.
Si je ne dis pas trop de conneries, il y a au moins deux couples principaux, 235U qui se désintègre en 207Pb (via de nombreux intermédiairs) ; et 238U -> 206Pb. Il y a aussi du 204Pb, stable.
Tu peux donc faire de la géochronologie U-Pb avec n’importe lequel des deux couples (235 ou 238) ; ou tu peux coupler les deux (qui ne se décomposent pas à la même vitesse) pour faire des chronomètres avec les rapports 207Pb/206Pb ; ou d’autres combinaisons que je n’ai plus en tête. Une des façons de faire la plus classique, c’est, disons, de "comparer" les âges 235/207 et 238/206, et de voir dans quelle mesure ils coincident (ages "concordants") ou pas (ages "discordants"). On sait assez bien interpréter les âges discordants en terme d’histoire complexe, avec plusieurs évènements successifs enregistrés dans l’échantillon.
En terme de précision "brute de spectro", c’est très bon. On mesure les rapports isotopiques de l’U et du Pb à la troisième décimale, ce qui donne des impécisions sur les âges de l’ordre de moins de 1 % (du moins dans les périods qui m’intéressent) : vers 2500 Ma, on a des âges avec des précisions typiquement de + ou - 3 à 10 Ma.
Après, il faut voir si l’âge est concordant ou discordant, ce genre de problèmes, qui font que même si la précision analytique est excellente, l’exactitude de l’âge (ou son interprétation) peut être moins bonne. Si les âges 235 et 238 sont très discordants, par exemple (cad que les deux couples isotopiques ne donnent pas le même âge !), la mesure a beau être à moins de 1 %, il y a une dimension d’interprétation qui fait que l’êge (ou, dans ce cas, LES âges des différents épisodes) sont moins bien contraints.
Enfin se pose la question de la signification d’un âge. En réalité, ce que date un chronomètre, c’est le temps écoulé depuis qu’il a évolué "en vase clos", sans échange avec l’extérieur. Selon ce qu’on date, ca peut être assez différent :
Parler de "précision" est donc un peu court ; il faut distinguer la précision analytique et, disons, la conclusion géologique.
J’ai par exemple sous les yeux un article dans lequel un échantillon a donné des zircons qui, datés in-situ, ont permis de mettre en évidence : (1) une population principale définissant un âge de 2547 +- 19 Ma (pas très bon, on a souvent plus précis) ; (2) quelques zircons hérités à 3070 +- 20 Ma (sans doute l’âge de la roche qui a fondu pour donner ce granite, et là ou la vie est belle, c’est qu’on connait des roches de cet âge la dans la région) ; (3) des traces de perturbations (réchauffement ?) vers 600 Ma (un âge ou il s’est passé plein de choses, régionalement).
Ce qui est marrant, c’est que le même granite, daté il y a qq années en regardant la population complète de zircons (donc avec des méthodes d’il y a 15 ans, pas in-situ) donnait un âge de 2631 +- 6, qui correspond sans doute au "mélange" entre les deux groupes (2547 et 3070). Pour finir, des sphènes dans le massif d’à coté donnent des âges de 2420 +-2, qui correspondent au refroidisement en dessous de 600-700 °C.
On voit bien que se pose la question de la signification géologique des âges : l’âge à 2631 est certes le plus précis de tous ceux que je cite ici, mais il semble ne correspondre à aucun évènement géologique ! L’âge à 2547 est sans doute la cristallisation du granite... mais si il est resté jusque vers 2420 au dessus de 600 °C, il pouvait donc rester quelques liquides dans le système.
On arrive donc à dater :
Enfin, même si les précisions analytiques sont excellentes, il ne faut pas perdre de vue qu’il y a une dose d’interprétation. Et qu’on commence à avoir des précisions telles qu’un phénomène comme un épisode métamorphique ou la mise en place d’un granite n’apparaissent plus comme instantanés.
(1) Chardon et al. 2002, Tectonics 21-3 (2) Krogstad et al. 1991, J.Geol 99:801-816
Bonjour JF
Dans cet article très interessant vous écrivez "On sait maintenant faire des datations in-situ, c’est à dire dater non seulement un grain, mais une partie d’un grain (avec une zone analysée de l’ordre de qq dizaines de micromètres)".
Mais concrètement comment on fait pour faire cette analyse in situ ?
Merci pour votre réponse
"Mais concrètement comment on fait pour faire cette analyse in situ ?"
On utilise une machine connue sous le nom de SHRIMP (Sensitive High Resolution Ion Microprobe — c’est un jeu de mot, shrimp veut dire "crevette" en Anglais). Voir par exemple http://en.wikipedia.org/wiki/SHRIMP .
Une SHRIMP emet un faisceau d’ions oxygène, qui sont focalisés et envoyés sur l’échantillon. On récupère des ions "secondaires", qui sont accélérés et envoyés dans un spectro de masse, où on sépare, classiquement, les ions en fonction de leur rapport charge/masse. La taille du "spot" (le diamètre du faisceau d’ions O) est de l’ordre de quelques dizaines de microns.
Les échantillons analysés sont donc des zircons séparés : la roche est broyée légèrement (pour ne pas casser les grains ; quand on est très soigneux, on utilise d’autres techniques basées sur des vibrations, pour désintégrer le caillou sans casser les grains). Ensuite, on en sépare les minéraux, essentiellement par densité, puisque les zircons sont très lourds (flotation dans des liquides denses, typiquement) ; mais aussi par magnétisme (permet d’évacuer les oxydes de fer, denses eux aussi) et pour finir à la main (sous la bino, avec une pince à épiler !). Les zircons sont alors montés dans une résine de type epoxy (mais un epoxy spécial, qui ne contienne même pas de traces de plomb), et la lame est mise dans la SHRIMP.
Tu peux jeter un coup d’oeil sur cette page http://www.utdallas.edu/ dxt038000/Plate%20Tectonics/presentations.htm à la conférence de Simon Wilde. Il présente les données sur les zircons de Jack Hills (les plus vieux du monde), mais entre autres choses tu y verras quelques photos des échantillons à différents stades.
Une SHRIMP est une machine très chère et relativement difficile à calibrer, dont il existe une vingtaine au monde (dans l’article de Wikipedia donné en lien, il manque au moins celle du CRPG à Nancy et celle de Misasa au Japon...) ; elle a été dévellopée par l’Australian National University (ANU) à Canberra.
Depuis quelques années, la SHRIMP est progressivement concurencée par une nouvelle génération des ICP-MS à ablation laser. ICP-MS veut dire Inductively Coupled Plasma-Mass Spectrometer ; c’est un spectro de masse dans lequel l’ionisation se fait par un plasma (dans les spectros de masse "classiques", TIMS — thermo-ionization MS—, l’ionisation se fait en déposant une goutte de solution sur un filament similaire à celui des lampes à incandescence). Les ICP-MS "classiques" ont un plasma confiné dans un champ magnétique, où on injecte la solution à analyser ; avec une ICPMS laser, le plasma est crée par un laser, ce qui permet d’avoir une analyse in-situ, dans un "spot" de l’ordre de 50-200 microns.
Les "anciennes" ICPMS n’ont pas de capacité isotopiques ; même si la détection se fait par spectrométrie de masse, sur la base de la masse des isotopes, elles ne sont pas assez sensibles pour obtenir la précision nécessaire à de la géochronologie (plusieurs décimales — une ICPMS laser normale donne des analyses à 5-10 % quand elle est bien calibrée). Mais les machines récentes ("multicollection") arrivent maintenant à résoudre avec une précision suffisante au moins le plomb, souvent le Sr. On commence donc, depuis une dizaine d’années, à obtenir des âges laser sur des zircons (montés de la même façon que pour la SHRIMP). A mon avis, la technique a de l’avenir : une ICPMS laser est plus versatile, moins chère, plus fiable et plus facile à utiliser qu’une SHRIMP...