Nos amis les entreprises...

Le 22 novembre 2007, par Jeff,

(Texte initialement paru comme un commentaie à un billet du blog de Versac, remanié pour l’occasion).

Vu de France, une des particularités des universités Commonwealtho-Etats-Uniennes, c’est la proximité avec le secteur privé. Les froggies en parlent sur tout les tons, du plus élogieux ("c’te bande de gauchistes des universités Françaises qui savent pas ce que c’est que le monde du travail") au plus grincheux ("Non aux masters Coca-Cola").

Alors, quelques mots pour vous raconter ce que c’est "en vrai" qu’un "master Coca-Cola", et à quel point c’est une Horreur Libérale (tm).

(Warning ! heavy sarcasm ahead)

Il se trouve que dans mon labo, nous avons, ou allons avoir des masters sponsoriés non pas par Coca, mais par Anglo-Platinum (premier producteur mondial de platine, filiale d’anglo-American qui est le premier ou deuxième groupe minier du monde. C’est du lourd.).

Anglo nous donne des bourses pour plusieurs Masters et PhD par an (ce sont des Msc et PhD de recherche pure, sans cours). Ah, me direz vous, nous y voilà : ils veulent que la fac fasse leur boulot de R&D et que les étudiants bossent sur leurs mines. Eh bien non. Anglo nous laisse totalement le choix des sujets, nous pouvons faire faire ce que nous voulons à nos étudiants boursiers, y compris de la recherche totalement fondamentale sans aucun rapport avec le platine.

Sont-ce des généreux mécènes qui ont des sous à perdre ? Non plus. Comme toute grande compagnie, Anglo ne se préoccupe que d’une seule chose, ses profits. So what ? Eh bien, ce dont Anglo a le plus besoin, ce sont de gens compétents. Pas forcément des experts en Platine, mais des gens capable de s’attaquer à un problème, de chercher à le résoudre, de mettre en place des stragégies expérimentales, d’arriver à des conclusions et de les rédiger. C’est ça, les compétences qu’ils cherchent. Ils se moquent bien de savoir si l’étudiant les aura obtenues en travaillant sur de la recherche fondamentale ou des gisements de métaux (de toutes façons, leurs ingénieurs et chercheurs sont formés "in-house" sur les techniques maison, qui sont plus ou moins secret industriel, quand ils sont embauchés). Ce qui les intéresse, c’est d’avoir des chercheurs compétents et autonomes. Et c’est, finalement, ça qu’ils nous achètent...

Pour être complet, il y a un autre piège : c’est que les étudiants qui bénéficient de ces bourses doivent s’engager à travailler pour Anglo pendant une durée équivalente à celle de leur bourse. Et le pire, c’est que ces fourbes ont une politique salariale généreuse, dans le but avoué de retenir les gens compétents chez eux (ce qui fait qu’au lieu de faire post-doc et chômeur comme les gens normaux, ils font carrière chez Anglo...)


Un autre exemple. Ca se passe à Saint-Johns, Newfoundland (Saint-Jean Terre-Neuve si vous préférez), à la "Memorial University". Il y a quelques années, la MUN a construit un truc appelé "Inco Innovation Center" ; c’est une assez grosse structure, avec un bâtiment, des équipements analytiques à la pointe de la technologie (pour ceux qui savent, un MEB, une ICP-MS laser ablation à secteur magnétique et une SIMS. Pour ceux qui savent pas : ce sont des machines dont il existe une poignée d’exemplaires au monde, en gros), le staff qui va avec (ils sont une cinquantaine je crois), et pas mal de thésards/MSc.

Ce centre a été construit avec des capitaux venant du gouvernement Canadien (autour de 20 millions de CA$), et de Inco (13 millions, et un million par an pendant 7 ans pour les frais de fonctionnement). Inco, c’est une des plus grosses compagnies minièrs dans le domaine du nickel. Ce sont eux qui exploitent le gisement de Voisey’s Bay, sur la côte Nord du Labrador — le plus gros gisement de nickel du monde, découvert il y a une dizaine d’années.

Là encore, la recherche qu’on fait dans l’IIS n’est pas seulement de la recherche minière. Il y en a, bien sûr ; mais il y a aussi des choses très fondamentales, il y a même des articles co-publiés avec notre équipe (sur la géologie de Barberton, en Afrique du sud, c’est vous dire si c’est appliqué...). Encore une fois, quel est l’intérêt d’Inco dans l’histoire ? Toujours le même. Avoir un centre capable de former des gens compétents dont ils auront besoin à terme ; avoir un pool d’experts de niveau mondial dans la région ; avoir un pool d’équipement avec qui travailler en cas de nécessité. En gros, ils ont compris à quoi sert la recherche fondamentale : à produire des connaissances et des compétences, on ne sait pas si elles serviront directement ou pas, un jour ou l’autre, mais on sait qu’on a intérêt à un environnement intellectuellement vivant. L’université (et les universitaires) quant à eux y trouvent leur intérêt aussi : ils n’auraient jamais pu constuire un plateau analytique de cette qualité avec leurs seules ressources, ni avoir de telles conditions de travail...

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Commentaires de l'article

 
mixlamalice
Le 22 septembre 2009

Tiens, après la bataille.

Tout à fait d’accord. Le problème en France est d’ailleurs double :
- Oui, beaucoup d’universitaires (profs. ou chercheurs comme étudiants) voient toujours les industriels comme une incarnation moderne du diable, références à 1984, Bienvenue à Gattaca et masters McDo bien lourdingues en prime.

- Mais, beaucoup d’industriels considèrent encore les universitaires comme des "gauchistes-fonctionnaires-soixantehuitards-fainéants-quiviventpasdansleréel" (je pense qu’on est le seul pays ou pour beaucoup, mieux vaut un diplômé d’école d’ingé qu’un PhD qui aura été nécessairement corrompu par le gauchisme universitaire) ou, à la rigueur, comme de la main d’oeuvre bon marché (un thésard par-ci, un post-doc par là avec 12000 clauses de confidentialité au cas où) pour faire un peu de développement (surtout pas de la recherche fondamentale, malheureux, c’est presque sûrement de l’argent perdu).

Bref, il me semble que les entreprises ricaines (et visiblement plus généralement anglo-saxonnes) ont une vision plus "entrepreneuriale", au sens littéral du terme - ie prendre des risques- de la recherche et de sa formation que les petits gars du MEDEF :
- un PhD, ce n’est pas forcément un "éternel étudiant qui a peur de la vie active", c’est avant tout quelqu’un qui a été formé à être indépendant, apte à réfléchir par lui-même sur un problème, capable de trouver et de comprendre les infos, et qui peut servir à apporter des solutions (ou en tout cas essayer), même si son sujet de thèse est éloigné de nos thématiques, même si peut-être il ne viendra pas bosser chez nous. D’ailleurs ici, les "clauses de confidentialité" pour les PhD payés par un industriel je ne suis pas sûr que ça se fasse beaucoup : un thésard doit publier pour avoir son PhD, c’est un diplôme universitaire.
- Financer de la recherche fondamentale, peut-être que ça nous coûtera de l’argent pour pas grand chose, mais peut-être aussi que de là découlera un nouveau process qui nous permettra d’avoir 10 ans d’avance sur nos concurrents (plutôt que de continuer à itérer le process breveté en 1943 en testant les 1266 nouvelles molécules produits par nos labos selon le protocole expérimental ISOzboub machin)...

Je ne sais pas d’où vient cette défiance commune, et heureusement quelques boîtes et universitaires commencent à changer ça (dans ma branche, création d’unités mixtes CNRS-industrie, par exemple, avec St-Gobain, Rhodia etc), mais y a encore du boulot.

 
Jeff
Le 23 septembre 2009

" Heureusement quelques boîtes et universitaires commencent à changer ça (dans ma branche, création d’unités mixtes CNRS-industrie, par exemple, avec St-Gobain, Rhodia etc), mais y a encore du boulot."

Et chez moi donc... La plupart des universitaires (et du grand public, en fait !) en France sont convaincus ,que la géol ça ne sert à rien et que ça n’a aucune application concrète... (hint : avez-vous déjà entendu parler de mines et du cours des métaux ces dernières années ?)

Ps - si tu écluse ton retard sur mon site, tu en es à l’article 210. Courage, plus que 209 à lire :-)

 
mixlamalice
Le 23 septembre 2009

Pour le PS : non, je suis relativement régulièrement ton blog depuis je dirais un an (même si à cause du pb de captcha je n’avais jamais spammé avant - pas trop grave, j’avais d’autres souffre-douleurs... désolé pour eux), donc je n’ai pas tant de retard que ça.

Mais j’avoue, je ne lis attentivement que la partie "académique" (je ne suis pas "geek" pour deux sous, et je ne suis pas très photo sur Internet).

 
Jeff
Le 23 septembre 2009

Arf, la partie "académique", c’est un appeau à troll... Je veux dire, la partie le plus "grand public" du site.

Mais les articles les plus lus sont ceux de vulgarisation géol. Il y a certaines pages qui sortent très haut chez google avec la bonne recherche (typiquement, des profs de science nat !). Quant aux photos, elles ne sont pas très visitées, à juste titre, il y en a des milliers de sites de photos perso ; ça c’est surtout pour les copains et la famille !

 

Attention !

Suite à un bug que je n’arrive pas à résoudre, vous êtes peut-être arrivés sur cette page, ou d’ailleurs sur n’importe quelle page du site, avec une adresse (url) incorrecte. Si c’est le cas, il y a des choses qui marcheront mal (documents liés, commentaires...).

Les adresses correctes sont de la forme

http://jfmoyen.free.fr/spip.php ?articleXXX

Toute autre version (avec des choses en plus entre le "... free.fr/" et le "spip.php") n’est pas bonne.

Si vous n’arrivez pas à écrire un commentaire ou voir une photo, vérifiez que vous pointez bien sur la bonne adresse ; si vous faites un lien vers ce site, merci d’utiliser la version correcte de l’URL.


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