Le 28 août 2006, par Jeff,
Le magmatisme granitique à la transition Archéen-Protérozoïque : Exemple du craton de Dharwar, Inde du Sud (Granite de Closepet et intrusions associées)
La majeure partie de la croûte continentale de la Terre s’est formée pendant l’Archéen (4,0 - 2,5 Ga). Cette croûte primitive était de nature TTG (tonalite-trondhjémite-granodiorite), c’est à dire composée de granitoïdes sodiques, issus de la fusion partielle de basaltes hydratés, dans le champ de stabilité du grenat. Le contexte le plus vraisemblable de formation des TTG est en zone de subduction : à l’Archéen, dans une Terre globalement plus chaude qu’à l’heure actuelle, les gradients géothermiques le long de la plaque subductée étaient assez élevés pour permettre la fusion partielle de la croûte océanique plongeante. A l’inverse, à l’heure actuelle la plaque plongeante se déshydrate avant de fondre ; les magmas produits sont à tendance potassique, de nature calco-alcaline. Depuis la fin de l’Archéen, les taux de production de croûte continentale sont plus faibles, et la nature de la croûte juvénile est différente (calco-alcaline, plutôt que TTG). Ceci fait donc de la transition Archéen-Protérozoïque (2,5 Ga) une limite importante de l’histoire de la Terre, et l’étude du magmatisme de cette période nous renseigne sur l’évolution de la croûte continentale au cours du temps.
Dans la majorité des cratons, la fin de l’Archéen se caractérise par une importante période de croissance crustale (mise en place de granites), suivie d’une longue période (300 Ma) d’inactivité géologique. Certains des granites qui se forment à ce moment diffèrent à la fois des granites archéens typiques (TTG), et des granites calco-alcalins modernes : il s’agit en particulier de granodiorites potassiques et magnésiennes, dont les spectres de terres rares et les teneurs en autres éléments incompatibles sont voisins de ceux des TTG.
Le craton de Dharwar, en Inde du Sud, a été choisi comme cible de cette étude. En effet, la moitié orientale de cette province se compose d’un grand nombre d’intrusions granitiques tardi-archéennes (2,6 - 2,5 Ga), intrusives dans un socle TTG (3,0 - 2,7 Ga). La plus importante de ces intrusions (le massif de Closepet) s’étend sur 400 km de long, pour une trentaine de large.
La première partie de ce travail a été une synthèse cartographique des massifs granitiques de cette région. En effet, si la partie Ouest du craton est assez bien connue, il n’en était pas de même pour la partie Est, pour laquelle n’existait pas de bonne carte du magmatisme tardi-archéen ; en fait, la plupart des cartes publiées ne le distinguait pas du socle TTG. Cette carte (fig. 1) a été obtenue sur la base de données publiées, de travail de terrain (environ 3 semaines) et d’interprétation d’images SPOT.
Le craton de Dharwar présente une coupe naturelle dans la croûte continentale, depuis des niveaux profonds (faciès des granulites) au Sud, jusqu’à des niveaux superficiels (schistes verts) au Nord. Le granite de Closepet, qui s’observe à tout ces niveaux, apparaît donc comme un exemple idéal pour étudier la formation et la mise en place d’un batholithe à tout les niveaux structuraux. Outre cet aspect thématique, la conaissance du contexte structural de mise en place de ce massif granitique apporte des informations indispensables pour discuter le contexte géodynamique de la fin de l’Archéen, et donc l’évolution de la croûte à cette époque.
A partir d’un travail de terrain (environ 8 semaines) et d’une analyse structurale, complétés par l’étude de l’anomalie de susceptibilité magnétique, et l’imagerie satellitaire, il a été possible de proposer un modèle de mise en place pour le massif de Closepet : des magmas, formés dans la croûte inférieure et le manteau supérieur, sont collectés dans des zones de cisaillement actives ("root zone"). Alors qu’ils cristallisent, une tectonique transpressive filtre ces magmas ("transfert zone"), et expulse du "mush" des liquides différenciés qui peuvent traverser une interface rhéologique de la croûte ("the gap"), et remplir des petites intrusions elliptiques ("intrusions zone"). Les autres produits ne peuvent pas franchir cette interface et restent dans les niveaux moyens et inférieurs (fig. 2). La mise en place en contexte cisaillant du massif confirme aussi l’existence d’importants mouvements horizontaux à la fin de l’Archéen : transpression le long de zones de cisaillement d’échelle crustale.
Le coeur de ce travail a été la construction d’un modèle géochimique global (fig. 3) pouvant rendre compte de la formation du massif de Closepet. Ce modèle se base sur 8 éléments majeurs et une vingtaine d’éléments en traces (dont les terres rares), avec des contraintes apportées par les données isotopiques (certaines acquises pendant cette thèse), la pétrographie, et le travail de terrain.
Cette étude permet de proposer le modèle pétrogénétique suivant : des magmas basiques, issus de la fusion partielle du manteau, ont pénétré dans une croûte continentale gneissique, chaude. Là, ils ont subi un bref épisode de cristallisation fractionnée. En même temps, sous l’effet de cet apport de chaleur, les gneiss de la croûte ont fondu. Ces deux magmas se sont mélangés, créant ainsi une grande diversité pétrographique (des monzonites au granites). Le manteau qui a fondu était enrichi. La cause la plus probable pour cet enrichissement est l’interaction entre des magmas issus de la fusion partielle des basaltes d’une plaque subductée avec des péridotites mantelliques. Ces interactions produisent à la fois des magmas hybrides, et une péridotite métasomatisée.
L’étude cartographique préalable, ainsi que l’échantillonage effectué lors des missions de terrain ou disponible antérieurement, a permis de proposer une typologie pétrologique et géochimique des granitoïdes de l’Est du craton de Dharwar. On y retrouve à la fois des produits de fusion d’une plaque plongeante ("TTG") et des produits hybrides ("sanukitoïdes"), peu avant la mise en place du granite de Closepet. Leurs teneurs semblables en éléments en traces confirme leur lien génétique. On retrouve aussi une grande quantité de granites "anatectiques" provenant de la fusion de TTG, accompagné de quelques leucogranites Deux modèles géodynamiques successifs ont été envisagés pour rendre compte des caractéristiques de l’ensemble du magmatisme tardi-archéen :
Sur des bases géochimiques et géologiques, c’est ce second modèle qui a été retenu.
Les mêmes granites (TTG, sanukitoïdes, type Closepet et anatectiques) se retrouvent dans la plupart des terrains archéens. Ceci amène à proposer un mécanisme d’évolution de la croûte archéenne : chaque craton archéen a connu un ou plusieurs cycles d’évolution (fig. 6), où se succèdent un épisode d’accrétion d’arcs insulaires (avec formation de TTG et/ou de sanukitoïdes, ainsi que de granites anatectiques), puis une période de remaniement de cette croûte (tectonique en dômes et bassins, métamorphisme HT/BP, granites anatectiques et/ou de type Closepet), puis finalement un épisode, soit de totale inactivité géologique, soit de dépôt de nouvelles ceintures de roches vertes sur ce continent néo-formé.
Alors que la Terre se refroidissait peu à peu au cours de l’Archéen, les interactions entre les produits de fusion des plaques subductées, et le coin de manteau devenaient de plus en plus importantes. Ainsi, au début de l’Archéen, seules des TTG se formaient ; à l’inverse, vers la fin de l’Archéen, ce sont les sanukitoïdes qui sont devenues plus abondantes ; ces interactions importantes permettaient un enrichissement suffisant du manteau pour former également le type "Closepet". Finalement, la Terre est devenue suffisament froide pour rendre impossible la fusion des plaques subductées, sauf dans des contextes particuliers. Il est probable que, à la fin de l’Archéen, ce refroidissement du manteau ait été acceléré par des évènements globaux (réorganisation de la convection mantellique ? accrétion d’un super-continent ?)
Euh... Disons que ce n’est pas la fonction de ce résumé, qui est écrit pour des collègues... Et le travail demandé pour re-écrire ce résumé est un peu lourd, en fait trop lourd pour quelque chose qui, après tout, a plus de 10 ans et commence à ne plus être totalement d’actualité. Je vous encouragerais à lire les documents qui sont ici :
http://jfmoyen.free.fr/spip.php ?article162
et qui eux ont été écrits pour un public plus large, profs de science nat’ (interessés, quand même...) ou assimilés.
Sinon, la thèse intégrale est là : http://jfmoyen.free.fr/spip.php ?article234
mais c’est pas tellement plus lisible...