Le 19 octobre 2007, par Jeff,
Sur son excellent blog, Maître Eolas a une série d’articles intitulés "Devine qui vient dîner ce soir", décrivant les adversaires sportifs de l’Equipe de France de Rugby.
Comme les sud-Africains ont fait faux-bond, préférant s’inviter chez les Anglais, je prends la liberté d’écrire un petit texte sur les "Springboks", un peu dans la veine de Me Eolas, bien que je ne puisse pas espérer égaler son inimitable style !
Si vous hésitez entre le vert et le blanc pour Samedi soir, voilà de quoi vous aider à choisir. Le vert, plus précisément le vert et or, c’est bien sûr celui du maillot des « sprinboks » Sud-Africains.
Le drapeau de la Republic of South Africa est ce joli Y plein de couleurs. Ce n’est qu’en 1994 (à la fin du régime d’apartheid) que ce drapeau a été adopté. On y retrouve, joliment ( ?) mélangées, les trois couleurs (bleu, blanc et orange) de l’ancien drapeau de la République, avec le noir, vert et jaune de l’ANC [1]. La forme en Y est sensée symboliser la convergence des différentes communautés dans la « Rainbow Nation ».
Selon la même logique, l’hymne Sud-Africain est un collage de l’ancien hymne d’avant 1994, avec le « Nkosi sikele i Africa » de l’ANC. Nkosi sikele (« Dieu bénisse l’Afrique ») est un superbe cantique, que je ne peux pas entendre sans frissonner. Après une strophe, on enchaîne sur « Die Stem van Suid-Afrika/The Call of South Africa », ce qui fait un effet musical pas très réussi, bien que le symbole soit joli.
Les Sud-Africains (blancs ou noirs) sont très attachés à leur hymne et à leur drapeau, qu’ils considèrent comme les symboles de l’honneur retrouvé de l’Afrique du Sud, du renouveau démocratique de leur pays, redevenu fréquentable. Samedi dernier, dans le bar où j’étais, le silence s’est fait avant que le public (blanc en majorité) et les serveurs (noirs) n’entonnent « Nkosi Sikele » à pleine voix. Le meilleur et le pire de l’Afrique du Sud contemporaine en un seul instant.
L’équipe nationale Sud-Africaine est connue sous le nom de « springboks », du nom d’une antilope (Antidorcas marsupialis, Euchore en Français, si si !) que l’on trouve dans le pays. « Bok » [2] veut tout simplement dire « chèvre ». De nombreuses antilopes sont des « quelque chose – bok », en Afrikaans [3]. « Spring » signifie « sauter ». Les springboks sont donc des chèvres qui sautent.
L’histoire des Springboks est intimement liée à l’histoire politique troublée de l’Afrique du Sud. Bien qu’importé des « colleges » et autres universités britanniques, le rugby s’est répandu en Afrique du Sud dans toute la population blanche, y compris et surtout chez les Afrikaners (dès les années 1880), qui pourtant à l’époque haïssaient les Anglais [4]. A tel point que longtemps, le rugby a été (et à vrai dire, reste un petit peu) le sport symbole des Afrikaners. La première tournée internationale de l’équipe de ce qui n’était pas encore l’Afrique du Sud a eu lieu en Grande-Bretagne en 1891 ; on raconte que pendant la Guerre des Boers (anglais contre afrikaners), en 1902, des matchs de rugby se jouaient entre les deux ennemis pendant les cessez-le-feu.
La première tournée de joueurs britanniques en Afrique du Sud date de 1903. Lors du dernier match de cette série, les Sud-Africains ont porté le vert de la « Old Diocesan School », l’école (anglaise) Sud-Africaine de Cape Town où le rugby avait été joué pour la première fois dans le pays. En 1906, lors d’une nouvelle tournée en Angleterre, le capitaine Sud-Africain Paul Roos a décidé d’adopter le surnom de « springboks » pour son équipe, principalement pour éviter que a presse anglaise n’invente de surnom moins flatteur…
Dans l’entre-deux guerres, les Springboks sont restés au sommet du rugby mondial, battant régulièrement les sélections britanniques, et opposés aux Néo-Zélandais par une solide rivalité. Dans l’après-guerre, la supériorité Sud-Africaine s’est effritée, sérieusement remise en question par la montée des rugbys britanniques et Néo-Zélandais, et la situation politique de plus en plus difficile pour l’Afrique du Sud. Le jeu Sud-Africain de cette période, peut-être en réaction, est devenu de plus en plus dominé par les avants, de plus en plus physique voire brutal.
Dans les années 60, 70 et 80, la politique raciale (et raciste) du gouvernement d’alors a été une source constante de problèmes pour le rugby Sud-Africain. Lors d’une tournée en 1967, les joueurs (et le public !) maoris des All Blacks ont dû être reclassés en « blancs honoraires » pour pouvoir participer aux matchs et accompagner le reste de leur équipe. Au cours des années 1970 et 80, la réprobation internationale, qui finit par se transformer en boycott, a empêché les Springboks de participer à des matchs internationaux ; chaque rencontre contre les sud-Africains devenait l’occasion de manifestations de réprobation internationale. Les dernières rencontres internationales ont eu lieu en 1980-81.
Entre 1990 et 94, le président FW de Klerk, avec le soutien de la minorité blanche, a mis fin au régime d’apartheid ; la transition s’est achevée en 1994 avec les premières élections générales du pays (qui ont amené Mandela à la présidence [5]). Les sportifs Sud-Africains ont alors pu participer à nouveau aux compétitions internationales. Il a alors été question de renoncer au nom et au symbole de « springbok », pour le remplacer par celui de « protea » (protée, la fleur nationale, endémique de la région du Cap) [6].
Symbole du renouveau de l’Afrique du Sud, et de son retour parmi les nations fréquentables, la Coupe du Monde de 1995 a été organisée en Afrique du Sud. Les Springboks d’alors, soutenus par tout le pays, ont remporté la coupe [7], lors d’une finale épique contre la Nouvelle-Zélande à l’Ellis Park de Johannesburg, remportée de justesse par un drop à la 81e minute du demi d’ouverture Joel Stransky (score final 15-12). Mais on se souvient de ce match autant pour sa valeur symbolique que pour la tension sportive et le suspens. C’est ce jour-là en effet que Mandela, premier président noir du pays, récemment élu, a assisté au match vêtu du maillot vert et or des Springboks, avant de remettre la coupe en personne à François Pienaar, capitaine des Springboks. A partir de ce jour-là, les Springboks ont été l’équipe des 40 millions de Sud-Africains, et non plus celle de deux millions d’Afrikaners. Dans les tribunes, raconte la légende, un garçon de 12 ans découvrait le rugby : un certain Bryan Habana.
Les Springboks ont ensuite eu des hauts et des bas, restant toujours dans les 5 ou 6 meilleurs du monde. On ne les voit guère en France ; ils jouent en effet surtout dans les compétitions de l’hémisphère Sud : le « tri-nations » avec l’Australie et la Nouvelle-Zélande (il est depuis quelques jours question d’en faire en « quadri-nation », avec les Argentins), ou le « super-14 », avec un système relativement compliqué de « franchises » qui voit s’affronter 4 équipes Australiennes, 5 Néo-Zélandaises et 5 Sud-Africaines (à base plus ou moins régionales). En 2003, une saison calamiteuse a culminé par l’élimination des Springboks en quart de finales de la Coupe du Monde a provoqué un choc dans le pays, et le limogeage de l’entraîneur Rudolph Straeuli, aux méthodes d’entraînement de style paramilitaires très controversées….
Straeuli a été remplacé par Jack White, qui malgré les critiques et les difficultés a tenu bon jusqu’à maintenant, et a ramené les Springboks au meilleur niveau. Avec une équipe de relativement jeunes joueurs (dont de nombreux Champions du Monde 2002 des moins de 21 ans), il a su renouveler le jeu Sud-Africain et le rendre plus ouvert, plus dynamique, moins brutal. Quelques « vieux » (l’arrière Percy Montgomery, le pillier « Os » [8] du Randt) encadrent une majorité de brillants jeunes (les ailiers JP Pietersen et Bryan Habana, le demi de mêlée Fourie du Preez) ; tous comptent parmi les meilleurs mondiaux, à leurs postes respectifs. Ne les perdez pas de vue…
De nos jours, le rugby reste un sport pratiqué par les Blancs [9] plus que par les Noirs (bien que les choses évoluent progressivement). Les Sud-Africains noirs se passionnent plutôt pour le football (et soutiennent les « Bafana Bafana ») ; l’organisation de la Coupe du Monde de Football en 2010 sera d’ailleurs sans doute l’occasion d’enthousiasmer tout le pays pour ce sport certes moins beau, mais tant pis. De ce fait, même si le racisme pointe parfois le bout de son vilain nez, la composition de l’équipe reflète surtout les centres d’intérêt sportifs des Sud-Africains. Après tout, combien d’Alsaciens ou de Bretons trouve-t-on dans l’Equipe de France de Rugby ?
Samedi, tous les amateurs de rugby Sud-Africains seront devant leur poste. Tous chanteront leur hymne national, agiteront leur drapeau et applaudiront leurs joueurs, en espérant que le scénario de 95 se reproduira. Ces Springboks sont jeunes, sans complexes ; ils jouent (et ils gagnent). La plupart ont grandi après 1994. Pour le meilleur comme pour le pire, ils sont à l’image de ce que leur pays est devenu, ou veut devenir.
Alors : « Go Bokkies, go ! »
Cartoons de Zapiro, (c) Mail and Guardian.
[1] African National Congress. C’est le parti de Mandela, qui a toujours milité pour une Afrique du Sud non-raciale. L’ANC gouverne le pays depuis 1994
[2] Et non pas « bock », par pitié – gardez le c pour les amateurs de bière, qui d’ailleurs la préfèrent en demi ou en pinte
[3] L’Afrikaans est la langue des Afrikaners, qui sont des descendants des colons hollandais installés au XVIIe siècle. L’Afrique du Sud est restée hollandaise jusqu’aux guerres Napoléonienne, puis elle est passée dans l’Empire Britannique, et une nouvelle vague de colons Anglais est arrivée au XIXe siècle. La rivalité, voire l’animosité entre anglophones et Afrikaners est un des moteurs de l’histoire de l’Afrique du Sud au XIXe et au XXe.
[4] et je ne parle pas de folklore sportif ou rugbystique, là, mais d’une vraie haine politique profonde, qui a d’ailleurs été un des ressorts de l’évolution politique Sud-Africaine dans la première moitié du XXe siècle
[5] Jusqu’en 1999, date à laquelle son vice-Président Thabo Mbeki l’a remplacé. Mbeki a été reélu en 2004, jusqu’en 2009
[6] L’ équipe nationale de cricket a quant à elle adopté la protée comme symbole
[7] Car eux, ils gagnent quand ils jouent une coupe du Monde à domicile
[8] Os veut dire « bœuf » en Afrikaans
[9] Et les métis – « colored » – dans la province du Cap, cf. JP Pietersen
Enfin quelqu’un qui s’intéresse aux Springboks !
Bravo pour cet historique du rugby dans un pays encore en tourment. Le sport est parfois un bon ferment d’unité.
En principe, le vrai supporter des boks marche à la Castle. Mais ça, vraiment, je ne peux pas m’y résoudre...
L’idéal serait de soutenir les bokkies et de s’abreuver à la London Pride, si je peux me permettre un conseil. Tu la boiras à ma santé (moi je serais à la Peroni. Snif...).