Le 13 août 2009, par Jeff,
Dans un autre article de ce site, je présentais des exemples de métapelites granulitiques, partiellement fondues. La fusion est quelque chose de normal dans les granulites, puisqu’elles se forment, par définition, au-delà de la réaction de destabilisation de la biotite (ou de l’amphibole), qui est la réaction de fusion principale dans la croûte (si les bons composants sont présents). Pour dire les choses autrement, il est normal pour une granulite d’être partiellement fondue ; c’est si elle ne l’est pas qu’il faut chercher une explication !
L’exemple que je montrais dans le Limpopo concerne des roches pélitiques, initialement riches en biotite. Dans ce cas, c’est la destruction de la biotite qui marque l’entrée en faciès granulite.
Pour des roches basiques, riches en amphibole mais pauvres en biotite, la réaction dominante sera, de façon analogue, celle de destruction de l’amphibole :
Amp + Qz + Plagio1 = Cpx + Grt/Opx + Plagio2 + H2O
Cette réaction peut se combiner avec une réaction du type
quartz + albite + H2O = Liquide
On a donc un bilan réactionnel qui ressemble à
Amp + Pl + Qz = Cpx + Grt/Opx + Liquide
C’est une réaction de fusion incongruente (et on formera du grenat et/ou de l’orthopyroxène, selon la pression et la composition de la roche).
La zone de Kapuskasing, en Ontario (Canada), se trouve dans la province du Supérieur, une des plus grandes provinces Archéennes du monde. C’est un horst de granulites, qui représentent la croûte inférieure (8—12 kbar, soit 25—35 km) de la sous-province de l’Abitibi qui l’entoure ; le horst a été surrelevé, probablement, lors de l’orogénèse Grenville vers 1.2 Ga.
La zone de Kapuskasing semble légèrement oblique : des roches plus profondes affleurent à l’Est. On a donc une sorte de coupe dans la croûte inférieure, de 8 à 12 kbar.
Les roches dominantes (comme dans la croûte moyenne/supérieure qui affleure autour) sont des orthogneiss tonalitiques, des compositions qui se prêtent mal aux réactions métamorphiques (parce qu’un assemblage dominé par le quartz et le plagioclase n’a pas grand chose pour réagir !).
Mais on trouve aussi de jolis niveaux de roches basiques (métabasaltes), qui elles sont capables de se transformer lors de réactions métamorphiques. La réaction dominante qu’on observe est celle qui est écrite plus haut, ici dans sa version
Amp + Pl = Cpx + Grt + Liq
On en retrouve de nombeuses traces à l’affleurement
Voilà par exemple des amphibolites partiellement fondues, avec des petits pyroxènes péritectiques dans les liquides :
Plus loin vers l’Est, dans des conditions de plus haut degré, la réaction a davantage progressé. Voilà une amphibolite très fondu, où on trouve encore des amphiboles, mais aussi beaucoup de grenat, des leucosomes abondants, et du clinopyroxène verdâtre par endroit.
Par endroit, on voit très bien l’association entre les leucosomes et le grenat :
Et ça marche aussi avec le clinopyroxène :
Des fois, on a même les deux ensemble :
Voilà une roche de composition intermédiaire (amphibole + plagio, mais avec pas mal de plagio et peut être même un peu de quartz, c’est une composition dioritique), qui ici commence tout juste à fondre ; on observe une foliation marquée par des lits plus riches en amphibole ; dans cette foliation, on trouve les leucosomes avec leurs gros grenats. Trois photos, de plus en plus près :
Ailleurs sur le même affleurement, les leucosomes sont plus riches en clinopyroxène (péritectique). Je ne sais pas pourquoi : deux générations de fusion ? Portions de roche de compositions différentes ? :
quant à ce leucosome-ci, on y observe à la fois de gros grenats, et des clinopyroxènes :
Sur le même affleurement, on trouve aussi des boudins basiques. Ici, les boudins basiques n’ont pas, ou très peu fondu (manque de quartz sans doute ?), et la réaction est donc simplement la décomposition sub-solidus du plagioclase et de l’amphibole, de la forme
pg1 + amp = cpx + grt + pg2 + H2O
Dans le boudin, en l’absence de quartz, rien d’autre ne se passe. autour, dans la partie intérmédiaire, il y a du quartz si bien qu’on combine
pg2, qz et H2O pour former du liquide, et le bilan de la réaction est
pg1 + amp + qz = cpx + grt + L
Un peu plus loin vers l’Est, on est dans des conditions P—T globalement plus élevées. Ici, il semblerait que la fusion ait été plus importante ; voilà par exemple un affleurement où on ne distingue plus le protolithe, mais uniquement un réseau de leucosome, clair, qui entoure des blocs à grenat, amphibole et sans doute pyroxène qui sont donc uniquement des accumulations de minéraux métamorphiques formés par la réaction de fusion décrite :
Et si on trouve des parties vraiment très riches en liquide (soit que le taux de fusion soit important, soit qu’on regarde des portions où les liquoides se sont accumulés mécaniquement), ça ressemble à ça :
Dans cet affleurement, on a les deux lithologies (amphibolitique et intermédiaire) interstratifiées. On retrouve, dans chaque, le même comportement que avant bien sûr :
Comme toujours dans ce genre d’affleurements, les liquides sont localisés dans des sites contrôlés par la tectonique : par exemple, entre des boudins plus compétents (notez aussi les petites failles tardives recoupant le tout !) :
D’un peu plus près :
Et bien sûr, si on regarde le leucosome du haut de la photo, il est plein de grenats (avec des amphiboles automorphes, aussi) :