Le 6 septembre 2009, par Jeff,
Plusieurs allusions sur ce site ont du suffire à faire comprendre à mes lecteurs [1] que ma situation professionnelle est en train de changer assez spectaculairement. J’ai en effet obtenu un poste comme professeur [2] à l’Université Jean-Monnet, à Saint-Etienne. J’ai signé Lundi dernier mon contrat … pardon, mon « procès verbal d’installation », c’est donc officiel.
Et donc, je suis sensé me réjouir. Me réjouir de rentrer en France [3] ; et me réjouir d’avoir enfin échappé à la « précarité » des jeunes chercheurs. Or justement, en fouillant dans mes archives je retrouve un texte que j’avais écrit en 2006 [4], à l’époque où je passais de post-doc à Lecturer ; je le recopie ici en n’y changeant pas grand-chose, parce que je n’ai à peu près rien à y ajouter ni à y retirer ; je mets seulement à jour quelques notes de bas de page.
Octobre 2006
… alors que, pourtant, c’est un mot à la mode ? C’est même le mot clef, celui qu’on se doit d’utiliser quand on parle de l’emploi scientifique, ou de la situation des jeunes chercheurs. Bien sûr, il ne faut pas seulement en parler, mais aussi la condamner (sinon, on parle de mobilité, pas de précarité). Il y a même des groupes qui se définissent comme « contre la précarité », et ce nom-définition leur tient aussi lieu de manifeste et de programme.
Pourtant, c’est un terme qui m’horripile au plus haut point. Alors que, objectivement, je pense pouvoir rentrer dans la catégorie des « précaires » : depuis la fin de ma thèse, j’ai eu 4 emplois successifs, d’une durée de 8 mois à deux ans ; dans 4 villes et trois parties du monde ; et que je suis, pour le moment, post-doc (avec une carte d’étudiant), et bien loin de la France [5]. Que j’ai essayé au moins 20 ou 25 fois de postuler sur des postes de MC ou de CR, que j’ai été auditionné une quinzaine de fois, et classé second une bonne dizaine. Et malgré tout, je n’aime toujours pas ce mot, cette description :
1) C’est un terme qui, appliqué aux jeunes chercheurs, est particulièrement indécent. Des « précaires », il y en a. Il a des gens qui vivent du RMI, et d’autres qui dorment sous les ponts. Il y a (même en France !) des gens qui ne savent pas si ils mangeront demain. Il y a des gens sans qualifications, pour qui trouver un emploi est à peu près impossible. Des gens qui depuis 20 ans vivent de chômage et de RMI, de CES et de temps partiel. Ces gens-là sont précaires, sans nul doute. Mais des jeunes chercheurs, vivant d’un salaire d’ATER ou d’une bourse de post-doc ? Des gens qui, « précaires » ou pas, arrivent en général à trouver un contrat (de post-doc, d’ATER, ou autre) à la fin de leur actuel emploi, et un contrat pour continuer essentiellement la même activité professionnelle – de la recherche, sur à peu près les mêmes thèmes ? Il me semble qu’un minimum de respect pour les gens en situation vraiment précaire devrait nous dissuader d’utiliser ce vocabulaire.
2) Pour un jeune chercheur, la précarité est, sinon choisie, du moins acceptée. Avec un diplôme à bac +5 ou +8 (selon comment on compte), trouver du travail est généralement possible : enseignement, concours de la fonction publique, ingénierie ou R&D, etc. Si nous restons dans notre « précarité », c’est d’abord et avant tout parce que nous voulons, quoi qu’il en coûte, continuer la recherche.
A l’échelle mondiale, il existe du travail pour les docteurs. Dans le monde académique, ou dans la recherche privée. Là encore, si nous restons « précaires », c’est parce que nous nous limitons à la France, ou à l’Europe proche (par fois, à notre région ou notre ville), que nous ne voulons pas quitter notre ville, notre pays.
Et puis, qui de nous peut prétendre qu’il ne savait pas ? Oh, je sais « on nous a fait miroiter des départs en retraite massifs ». Mais quand « on » nous a dit ça, nous étions adultes et en âge de nous faire notre propre idée ; de compter le nombre de thèses soutenues en France ; de regarder le sort des générations avant nous. Et pourtant, nous avons choisi la recherche, choisi de faire une thèse –parce que c’est un travail qui nous plaît, que nous aimons faire. Nous l’avons choisi en connaissance de cause, en sachant que les perspectives d’emploi étaient pour le moins restreintes (du moins dans le monde académique Français). Alors … il faudrait peut-être prendre ses responsabilités et assumer les conséquences de ses choix : celui de vouloir faire de la recherche académique et rien d’autre ; celui de vouloir habiter en France (quand ce n’est pas « dans sa ville natale ! ») et nulle part ailleurs.
3) La précarité, c’est aussi un état d’esprit, un sentiment. L’instabilité professionnelle est une chose ; la façon dont on le vit en est une autre. Ce n’est pas forcément une épreuve insurmontable ou une situation si déplaisante…
Bien sûr, ça dépend largement des goûts, ou des facilités d’adaptation personnelles, voire de facteurs extérieurs (santé, famille….). Mais pas seulement.
Etrangement, ceux que l’on entend le plus parler de précarité, ce sont ceux qui, pour caricaturer, on fait une thèse à Paris VII après un second cycle à Paris VI, ont postulé sur des postes à Orsay « parce qu’il faut bien être mobile, on est obligé », mais quand même pas à Lyon (« en province ? ») ; sont partis un an en post-doc à Londres, en rentrant tous les week-ends en France. C’est un mot que je n’ai pas entendu dans la bouche de ceux qui ont enchaîné plusieurs post-docs du Canada à la Nouvelle-Zélande, ont déménagé 5 fois en 8 ans, et/ou travaillent sur différents contrats dans des laboratoires australiens ou américains… On entend souvent dire « les jeunes chercheurs (précaires) ne peuvent pas fonder une famille ». Sans blague ? Pour ma part, je suis marié et j’ai deux enfants. Et qui peut oser prétendre que son instabilité professionnelle l’a empêché de construire une relation ? Affirmer qu’il (elle) a rencontré un « significant other », et lui a dit « désolé mon(ma) chérie(e), mais tant que j’ai pas un poste de MC je ne peux pas sortir avec toi » [6] ?
Oh, je ne dis pas que ce ne serait pas plus confortable de pouvoir élever mes enfants sans me demander ou nous serons l’an prochain. Pour autant, ça ne nous empêche en rien de former une famille avec une vie de famille ; et de vivre, de façon générale. La vie ne commence pas au jour ou on a un poste au CNRS.
4) Mon métier, ce n’est pas « précaire », c’est chercheur, c’est-à-dire professionnel en exercice, et vivant de mon métier. Depuis 10 ans (j’ai commencé ma thèse en 1996), je vis de mon travail de recherche. Evidemment, le climat français véhicule un discours dominant, où celui qui n’est pas CR ou MC n’est rien, ou à la limite un « étudiant prometteur », mais en tout cas pas un « jeune collègue ». Et cette mentalité est souvent intériorisée, assimilée, acceptée par les premiers intéressés, qui eux-mêmes ne se considèrent pas tant comme des chercheurs exerçant leur activité professionnelle, mais des « post-doc » ou des « précaires » [7].
Mais hors du territoire Français, que ce soit dans mon département à Stellenbosch, ou encore lorsque je participe à des congrès, personne ne se préoccupe de la nature de mon contrat. La seule chose qui intéresse mes collègues Canadiens, Sud-Africains ou Australiens, c’est la qualité de mon travail de recherche. Peu leur importe de savoir si je suis un « vrai » chercheur, ou un « précaire », un « jeune chercheur » dont le travail ne peut s’estimer que par rapport à son éventuelle candidature au CNRS, et aux jeux politiques qu’elle entrainera pour promouvoir sa chapelle.
5) Pour finir, la précarité, ça reflète surtout le décalage, la différence entre la vie dont on rêve, et celle qu’on a. De fait, si on rêve de trouver un travail fixe dans sa propre ville, d’acheter son appartement, et à 27 ans de savoir que pour le reste de sa vie active, on ira tout les matins dans le même bureau pour y faire la même chose, alors c’est sûr que cette situation instable est dure à vivre, difficile, inconfortable. Si l’on n’admet pas de devoir ajuster ses envies et ses projets de vie aux réalités, forcément, c’est dur. Si en revanche on s’imagine explorant, vivant dans différents endroits, changeant et découvrant le monde, alors la vie n’est pas si déplaisante : la mienne me convient tout à fait bien, et je suis en fait terrorisé à l’idée de faire la même chose dans le même couloir, jour après jour pour le reste de ma vie !
Ce qui est drôle, c’est de voir les protestations contre la « précarité » se draper dans une dialectique et une idéologie vaguement gauchisante, voire carrément révolutionnaire, qui n’arrive qu’à peine à masquer les aspirations très … petit-bourgeois, aurait-on dit naguère, de leurs auteurs
[1] en supposant qu’il y ait des lecteurs autres que des amis, familles et copains, qui sont de toutes façons au courant depuis longtemps
[2] pour les non-Français : en réalité professeur « deuxième classe », c’est-à-dire « associate Professor »
[3] j’écrirais un mot sur ce thème, si j’arrive à trouver le temps d’organiser un peu mes pensées
[4] Je l’avais écrit à peu près au moment où j’ai claqué la porte de SLR, un peu en réaction face au dégout que m’inspirait la mythologie du précaire qui peu à peu remplaçait la réflexion y compris dans la branche « jeunes chercheurs »
[5] Août 2006. Juste après, j’ai obtenu un contrat de 3 ans (un « CDD », comme on dit en France) comme « Lecturer » auprès de l’université de Stellenbosch, Afrique du Sud. Même alors, j’ai toujours eu autant de mal à me définir comme précaire et à me concevoir comme autre chose que comme un chercheur vivant de son travail de recherche.
[6] Même Tom a réussi à se marier et fonder une famille !
[7] Ou des « jeunes chercheurs »…
Jeff, je ne suis pas tout a fait d’accord avec vous sur la « précarité » reelle ou usurpee evoquee par les jeunes chercheurs. Le choix du terme est sans doute discutable, et s’il n’est evidemment pas question de comparer la situation d’un jeune chercheur non permanent a celle d’un SDF avec le breuvet des colleges en poche, il ne me semble pas non plus tres juste de clore le debat en concluant que les jeunes chercheurs devraient s’estimer contents de leur sort et s’abstenir de toute recrimination. D’autant plus que ce genre de sarcasme s’entend generalement de la bouche de chercheurs permanents qui, eux, ont au mieux connu le post-doc comme un conge sabatique accorde par leur organisme de recherche et pendant lequel leur conjoint (au hazard, au foyer...) n’a pas ete contraint a de grands sacrifices pour permettre a toute la famille de partir a l’etranger pendant quelques mois, avec un poste garanti les attendant au retour en France. Alors oui, comme l’illustre votre situation personnelle, le cas que je viens decrire est un brin caricatural, mais je pense quand meme que vous faites plus partie des exceptions que de la regle. En fait, il me parait encore plus inquietant d’entendre un discours minimisant les difficultes des chercheurs non-permanents de la part de quelqu’un ayant ete "non-permanent" pendant si longtemps. Peut-etre qu’avec le recul, une fois un poste permanent obtenu, il parait plus "evident" que ca allait se finir comme ca -
Etant encore du cote des non permanents (5 contrats et 4 visas depuis ma soutenance il y a 4 ans), je suis bien consciente de l’avantage que j’ai de faire un metier qui me plait, de gagner ma vie correctement, et de "voir du pays", mais je ne suis pas d’accord pour qu’on occulte les inconvenients lies a cette situation, avec en tete de liste, l’absence de vacances (2 semaines par an passees dans les auditions de concours) l’eloignement de la famille (sans s’accrocher desesperement a son village natal, je ne vois pas de mal a avoir envie d’y retrourner de temps en temps), et la question perpetuelle : ou serai-je et dans quel etat errerai-je dans 6 mois (1 an, rayez la mention inutile...). Multipliez l’equation par deux si le conjoint est dans la meme situation, et hop, vogue la galere !
Dire qu’on a plus ou moins choisi ou accepte cette situation n’est sans doute pas faux, mais de la a dire qu’on savait exactement ou on mettait les pieds des le depart, je trouve que c’est un peu pousser. Qui, en fin de DEA, se preoccupe serieusement des statistiques du nombre de soutenances vs. nombre de postes dans la section ? En tout cas, dans ma grande naivete, je ne savais surement meme pas ce qu’etait une section CNU a l’epoque, toute a mon sujet de recherche. Et une fois le doigt mis dans l’engrenage... il devient de plus en plus difficile de faire une croix sur un nombre croissant d’annees passees a exercer un metier pour "choisir" finalement de recommencer autre chose de zero, ou meme plus bas encore, compte tenu du handicap constitue par le "temps perdu" ?
Mais revenons a la science : peut-on raisonablement penser faire de la bonne recherche dans un systeme ou une grande partie des acteurs sont dans une situation instable, qui les oblige en permanence a penser a leur prochain poste, dans 6, 12 ou 18 mois, pour lequel ils ont interet a avoir significativement allonge leur liste de publications, ou sinon... (Sachant qu’une candidature dans la recherche se prepare de preference au moins 6/12 mois avant la prise de fonction !) Pour ce qui est de transcender sa vision d’une situation non-permanente, sans vouloir mordicus m’etablir dans ma ville natale jusqu’a la fin des temps, j’aimerai bien enfin avoir une vision au dela de quelques mois et habiter au meme endroit que mon conjoint... Je n’ai pas de statistiques sous les yeux autres que celles de mon entourage, mais il me semble que ce probleme est quasi-innexistant hors de la recherche.
Pour conclure ce loooong commentaire (mais vous en reclamiez :-) ) il ne me semble pas inutile d’evoquer la situation des chercheurs "non-permanents" et d’etudier l’opportunite a la fois pour les individus et pour la Science de leur proposer un statut un peu plus stable.
"... je ne suis pas tout a fait d’accord avec vous"
C’est bien (surtout quand c’est argumenté !) : ça permet de discuter... A propos, j’espère que tu n’as rien contre l’ironie un peu acide ? Parce que sinon, tu aurais intérêt à ne pas lire la suite de mon commentaire.
Tu es encore là (oui, j’ai du mal à voussoyer les gens sur internet, et je ne m’offusque pas qu’on en fasse autant à mon égard) ? Bon, on y va.
"... il ne me semble pas non plus tres juste de clore le debat en concluant que les jeunes chercheurs devraient s’estimer contents de leur sort et s’abstenir de toute recrimination."
Je ne crois pas avoir clos le débat (la preuve !). Mais à l’inverse, il ne me semble pas non plus souhaitable (même du point de vue du "jeune-précaire" que j’étais il n’y a pas si longtemps !) de se résumer à ça. Précaire n’est pas un métier, c’est un statut, même pas, c’est la perception qu’on a de son statut.
Justement, ce dont il est question ici, c’est de mon point de vue, ou plus précisément de ma façon de percevoir les choses. Personne n’est obligé de les ressentir de la même façon que moi !
Et comme je l’écris ailleurs, c’est mon site ici, et j’ai le droit d’éxagérer si je veux ; pour une fois j’éxagère dans le sens inverse de ce qu’on lit le plus souvent... :-).
" D’autant plus que ce genre de sarcasme s’entend generalement de la bouche de chercheurs permanents qui, eux, (...)"
Oui mais en l’occurence, non. J’ai écrit ce petit poulet en 2006, à peu près au moment où j’obtenais mon premier poste à Stellenbosch : un contrat de 3 ans, le plus long que j’ai eu depuis la fin de ma thèse, en 2000. Donc je réfute l’argument de "tu écris ça parce que tu n’as pas connu cette situation" : je l’ai connu, et je l’ai connu bien plus que pas mal de gens qui se revendiquent précaire (pas toi, à l’évidence !). J’irais même jusqu’à prétendre en tirer une certaine légitimité, parce que justement, contrairement aux gens auxquels tu fais allusion, je sais de quoi je parle. Et même le sachant, je persiste et signe.
" Alors oui, comme l’illustre votre situation personnelle, le cas que je viens decrire est un brin caricatural, mais je pense quand meme que vous faites plus partie des exceptions que de la regle. "
Hé bien, c’est là que je ne suis peut être plus d’accord. Non pas sur le fait que je fasse partie de l’exception ; mais plutôt parce que je pense que c’est une question de choix individuel. Chacun a la possibilité de décider ce qu’il veut faire de sa vie, et comment il (ou elle) veut vivre. Si on décide à priori que ne pas avoir de poste "tenured", c’est "une période difficile de sa vie pendant laquelle on ne peut rien faire d’autre", alors oui, c’est difficile. Si on décide en revanche que ça n’empêche pas de vivre...
" En fait, il me parait encore plus inquietant d’entendre un discours minimisant les difficultes des chercheurs non-permanents de la part de quelqu’un ayant ete "non-permanent" pendant si longtemps. "
Encore une fois — j’ai écrit ça il y a 3 ans, à l’époque où je venais de décider de ne même plus me fatiguer à postuler sur des postes permanents en France, donc à l’époque où j’étais bien parti pour fonctionner sur ce mode pendant encore 3, 6 ou 10 ans. Je le ressors maintenant de mes cartons, mais je ne l’ai pas écrit hier. Oh non, en 2006 je ne savais pas comment ça allait se terminer, et encore moins ou. C’était l’époque où je regardais avec plus d’intêret les offres de job au Canada (type CRC) que en France....
Et je ne vois pas en quoi c’est inquiétant : inquiétant, que j’ai été heureux pendant cette période de ma vie ? Pourquoi, j’aurais du être triste ? Gémir et déprimer pendant 5 ans ? Je regrette mais non — ça ne m’a pas empêché de vivre, que ce soit au point de vue familial ou professionel.
" Etant encore du cote des non permanents (5 contrats et 4 visas depuis ma soutenance il y a 4 ans), je suis bien consciente de l’avantage que j’ai de faire un metier qui me plait, de gagner ma vie correctement, et de "voir du pays", mais je ne suis pas d’accord pour qu’on occulte les inconvenients lies a cette situation,"
Je n’occulte rien du tout. Mais, m..., personne ne nous a forcé à le faire, ce métier. Quant à prétendre que "on ne savait pas que ça allait être comme ça", c’est, excuse-moi, de la mauvaise foi ou de la naïveté. Alors, il faut accepter les bons et les mauvais cotés. De la même façon que si tu ne veux pas te lever à 4h tout les matins il ne faut pas être boulanger, et que si tu veux dormir tout les soirs dans ton lit il ne faut pas être pilote de ligne. Il ne te viendrait pas à l’idée, si tu étais boulanger, d’exiger qu’on te garantisse de pouvoir te lever tout les jours à 8h...
" avec en tete de liste, l’absence de vacances (2 semaines par an passees dans les auditions de concours)"
Faut arrêter de passer les concours "just for the heck of it"... Bon, je plaisante à moitié ; mais enfin, on n’est pas obligé d’articuler sa vie autour de ça. Ca rejoint mon point central, finalement : oui, c’est une période difficile, si on décide qu’elle n’est que transitoire et qu’on a un seul but : en sortir. Si on accepte que c’est le mode de vie qu’on a pour le moment (comme, incidemment, pas mal de gens au monde — dans mes amis Sud-Africains, très peu ont un travail de CDI ou de fonctionnaire, la grande majorité, sauf les profs d’université, vivent de CDD), il devient nettement plus agréable.
En ce qui me concerne, je n’ai jamais souffert du manque de vacances. Peut être que c’est circonstanciel : j’ai eu des chefs compréhensifs (en même temps, ça aussi ça se construit. Les chefs sont plus compréhensifs avec des gens qui font bien leur boulot par ailleurs !) ; j’ai toujours eu plus de 15 jours de congés par an (à Stellenbosch on a 38 jours ( !!), ce qui laisse le temps de faire pas mal de choses : vu le temps que je passe sur le terrain je n’arrive de toutes façons pas à prendre tout mes jours !).
" l’eloignement de la famille"
Oui, c’est sans doute l’aspect le plus dur à vivre. Surtout avec des enfants. Mais ça aussi, c’est compensé par autre chose. Pour moi, en restant dans le même registre, avoir des enfants bi- voire tri-ligues à 4 et 6 ans, par exemple...
" et la question perpetuelle : ou serai-je et dans quel etat errerai-je dans 6 mois (1 an, rayez la mention inutile...)."
Et alors ? Dans un an, je serais chercheur quelque part, et je toucherais un salaire qui me permettra de nourrir ma famille... Ce sera à Stellenbosch, à Sydney, à Ottawa ou à St-Etienne, mais de toutes façons, j’aurais de quoi manger et je ferais mon boulot. Alors...
Mais bien sûr, ce serait mentir de prétendre que ce n’est pas un souci de moins de ne plus avoir à chercher un autre contrat à la fin de celui-ci. Evidemment, ça fait un enquiquinement de moins. Ca, et ne pas avoir à organiser un déménagement, à chercher une école pour les enfants, à faire des permis de séjour (oh, les joies du "police clearance certificate for all the places you’ve been living in the past 10 years"...). bien sûr, mais pour autant ma vie ne s’organise pas autour de ça...
" Multipliez l’equation par deux si le conjoint est dans la meme situation, et hop, vogue la galere ! "
Et oui, "uni pour le meilleur et pour le pire", c’est ça qu’il dit, Monsieur le Maire ?
" Dire qu’on a plus ou moins choisi ou accepte cette situation n’est sans doute pas faux, mais de la a dire qu’on savait exactement ou on mettait les pieds des le depart, je trouve que c’est un peu pousser. Qui, en fin de DEA, se preoccupe serieusement des statistiques du nombre de soutenances vs. nombre de postes dans la section ? "
Donc, on a été naïfs (tous, moi y compris !), et du coup le monde/l’état/l’université (rayer la mention inutile) doit payer les pots cassés et nous donner un boulot ? Oui, on a été naïfs, on a cru bêtement que rentrer en thèse, c’était une carte d’entrée vers un job permament dans la recherche académique. Et on a eu tort, comme on aurait pu s’en rendre compte à l’époque si on avait levé les yeux du guidon. Mais voilà, le monde est cruel : on finit toujours par payer les pots cassés et par devoir assumer les conséquences de ses erreurs...
D’ailleurs maintenant, c’est la première chose que je répète à mes thésards : je vous garantit trois ans de boulot, avec un salaire ; ce que je ne vous garantit PAS, c’est un boulot après. Si ils veulent quand même continuer, au moins c’est en connaissance de cause.
" il devient de plus en plus difficile de faire une croix sur un nombre croissant d’annees passees a exercer un metier pour "choisir" finalement de recommencer autre chose de zero,"
Bof, bof. Difficile de le faire, ou de s’y résoudre ? Là encore (désolé d’être cryptique sur ce coup), c’est précisément ce que j’étais en train de faire, et c’est bien mon expérience de recherche qui me le permet.
" Mais revenons a la science : peut-on raisonablement penser faire de la bonne recherche dans un systeme ou une grande partie des acteurs sont dans une situation instable, qui les oblige en permanence a penser a leur prochain poste, dans 6, 12 ou 18 mois,"
Oui.
Bon, 6 ou 12 mois c’est court, 2-3 ans c’est plus raisonnable. Mais oui on peut ; et à mon avis, la clef est d’arrêter de se focaliser sur le statut (tempiraire), et de se percevoir comme un (une) chercheur. Encore une fois, mon job depuis 10 ans, c’est chercheur. Ca l’a été quel que soit la forme de mon contrat de travail : allocataire de recherche, ATER, bourse de post-doc, ou lecturer en CDD ; tout ça, ce sont des détails. C’est pas la définition de mon boulot : la définition, c’est chercheur. C’est vrai qu’il faut penser à son prochain poste : il faut aussi penser à emmener les enfants chez le médecin et à payer la note de gaz (ou, si tu t’installes pour du long terme, les traites de la voiture et le prêt pour la maison). Ben oui, dans la vie des fois on a d’autres soucis que ceux de son métier, et alors, ça n’empêche pas de le faire, son métier, justement !
Je dis pas qu’il ne doit y avoir que des contrats de ce type ... en fait je suis agnostique, je m’en fiche, pour moi la forme ou la durée du contrat est un épiphénomène.
" pour lequel ils ont interet a avoir significativement allonge leur liste de publications, ou sinon... "
Ou sinon, quoi ? Quel genre de chercheur es-tu, de toutes façons, si tu ne publies pas ton boulot ? Oui, je sais, Einstein n’a jamais eu qu’une seule publication. Et Galilée n’a jamais publié dans Nature, si tu vas par là : c’était une autre époque où les choses étaient différentes (d’ailleurs ni Descartes, ni Galilée n’avaient de poste permanent...). Là, on est dans les années 2000. De nos jours, l’activité scientifique inclut de publier. C’est comme ça que ça marche, et "if you don’t like the rules, don’t play the game". Donc de toutes façons, publier tu dois le faire, parce que ça fait partie de ton boulot. A partir de là, ton dossier prend soin de lui-même.
D’ailleurs, qu’est-ce qui te fait croire que tu n’aurais pas la même pression pour publier si tu étais sur un poste "tenured" ? Tu aurais des projets à écrire, il faudrait que tu rendes compte de ton activité, que tu justifie comment tu as dépensé tes sous, que tu expliques pourquoi tu penses pouvoir encadrer des étudiants : pour tout ça, il te faudra un "publication record". A moins que tu n’ais l’intention, du jour où tu as un poste en France, d’arrêter tout ça, et de te mettre en retraite anticipée ? Oui mais dans ce cas, tu comprendras qu’un éventuel recruteur préfère embaucher quelqu’un d’autre qui, lui (ou elle), continuera à être actif en recherche — même sur un poste permanent.
Et non, je ne crois pas au "chercheur génial mais qui ne publie pas beaucoup", non plus que au "type qui s’est consacré à une manip longue et qui n’a rien pu en sortir à court terme mais qui est vachement bon quand même". Si il était vachement bon, il aurait fini d’écrire ses résultats d’il y a 3 ou 4 ans ou eu un petit projet en parallèle, ou ... Si il n’a rien d’autre que sa grosse manip, qui ne donne rien avant 5 ans, il n’est peut être pas si bon, après tout...
" Je n’ai pas de statistiques sous les yeux autres que celles de mon entourage, mais il me semble que ce probleme est quasi-innexistant hors de la recherche. "
Ben oui. De même que le décalage horaire est un problème que seuls les pilotes de ligne connaissent... Le marché du travail de la recherche est à l’échelle mondiale, parce qu’il y a dans le monde entier à peu près le même nombre d’emplois dans une discipline que, je sais pas, d’instits dans un département Français ? Et encore ?
" Pour conclure ce loooong commentaire (mais vous en reclamiez :-) )"
You’re welcome... Moi aussi je peux faire long (ça m’a occupé un voyage Perrache-Chateaucreux complet, et le pouce !).
" il ne me semble pas inutile d’evoquer la situation des chercheurs "non-permanents" et d’etudier l’opportunite a la fois pour les individus et pour la Science de leur proposer un statut un peu plus stable. "
Oui, mais qui doit "proposer" ? "On" ? "Ils" ? Comme dans toute bonne conversation en France ("Ils" m’ont supprimé mes allocs, "Ils" veulent nous obliger à faire ça...). N’importe qui, mais pas moi, pas toi, pas nous. Surtout, que quelqu’un d’autre prenne la responsabilité de ma vie, s’occupe de moi, et me fournisse un cocon bien confortable où je n’aurais rien à faire que d’attendre mes augmentations (premier échelon, 1 an et 2 mois...). Surtout, que je n’ai pas à me prendre en charge.
Là pour finir, je ne peux que laisser la parole à des gens qui l’ont écrit mieux que moi. Il n’y a qu’à remplacer "protecteur" par "administration", et ça marche toujours aussi bien :
" Et que faudrait-il faire ?
Chercher un protecteur puissant, prendre un patron,
Et comme un lierre obscur qui circonvient un tronc
Et s’en fait un tuteur en lui léchant l’écorce,
Grimper par ruse au lieu de s’élever par force ?
Non, merci. Dédier, comme tous ils le font,
Des vers aux financiers ? se changer en bouffon
Dans l’espoir vil de voir, aux lèvres d’un ministre,
Naître un sourire, enfin, qui ne soit pas sinistre ?
Non, merci. Déjeuner, chaque jour, d’un crapaud ?
Avoir un ventre usé par la marche ? une peau
Qui plus vite, à l’endroit des genoux, devient sale ?
Exécuter des tours de souplesse dorsale ? ...
Non, merci. D’une main flatter la chèvre au cou
Cependant que, de l’autre, on arrose le chou,
Et donneur de séné par désir de rhubarbe,
Avoir un encensoir, toujours, dans quelque barbe ?
Non, merci ! Se pousser de giron en giron,
Devenir un petit grand homme dans un rond,
Et naviguer, avec des madrigaux pour rames,
Et dans ses voiles des soupirs de vieilles dames ?
Non, merci ! Chez le bon éditeur de Sercy
Faire éditer ses vers en payant ? Non, merci !
S’aller faire nommer pape par les conciles
Que dans les cabarets tiennent des imbéciles ?
Non, merci ! Travailler à se construire un nom
Sur un sonnet, au lieu d’en faire d’autres ? Non,
Merci ! Ne découvrir du talent qu’aux mazettes ?
Être terrorisé par de vagues gazettes,
Et se dire sans cesse : "Oh, pourvu que je sois
Dans les petits papiers du Mercure François ? "...
Non, merci ! Calculer, avoir peur, être blême,
Préférer faire une visite qu’un poème,
Rédiger des placets, se faire présenter ?
Non, merci ! non, merci ! non, merci ! Mais... chanter,
Rêver, rire, passer, être seul, être libre,
Avoir l’œil qui regarde bien, la voix qui vibre,
Mettre, quand il vous plaît, son feutre de travers,
Pour un oui, pour un non, se battre, -ou faire un vers !
Travailler sans souci de gloire ou de fortune,
À tel voyage, auquel on pense, dans la lune !
N’écrire jamais rien qui de soi ne sortît,
Et modeste d’ailleurs, se dire : mon petit,
Sois satisfait des fleurs, des fruits, même des feuilles,
Si c’est dans ton jardin à toi que tu les cueilles !
Puis, s’il advient d’un peu triompher, par hasard,
Ne pas être obligé d’en rien rendre à César,
Vis-à-vis de soi-même en garder le mérite,
Bref, dédaignant d’être le lierre parasite,
Lors même qu’on n’est pas le chêne ou le tilleul,
Ne pas monter bien haut, peut-être, mais tout seul ! "
(E. Rostand ; Cyrano de Bergerac, III, 8).
Désolé, mais je ne serai pas aussi prolixe que vous 2 !
[…]
" D’autant plus que ce genre de sarcasme s’entend generalement de la bouche de chercheurs permanents qui, eux, (...)"
Oui mais en l’occurence, non. J’ai écrit ce petit poulet en 2006, à peu près au moment où j’obtenais mon premier poste à Stellenbosch : un contrat de 3 ans, le plus long que j’ai eu depuis la fin de ma thèse, en 2000. Donc je réfute l’argument de "tu écris ça parce que tu n’as pas connu cette situation" : je l’ai connu, et je l’ai connu bien plus que pas mal de gens qui se revendiquent précaire (pas toi, à l’évidence !). J’irais même jusqu’à prétendre en tirer une certaine légitimité, parce que justement, contrairement aux gens auxquels tu fais allusion, je sais de quoi je parle. Et même le sachant, je persiste et signe.
Mon premier point est que le terme « précaire », en ce qui concerne la recherche scientifique, je le réserverais aux centaines de jeunes doctorants « bénévoles » en Sciences Humaines et Sociales (qui, comme tout un chacun le sait, ne sont pas une Science…), et donc je rejoins Jeff sur cet aspect. Un doctorant bénéficiaire d’une alloc MESR ou un post-doctorant sous contrat dans un labo, ne sont, de mon point de vue, pas des travailleurs précaires.
[…]
" Etant encore du cote des non permanents (5 contrats et 4 visas depuis ma soutenance il y a 4 ans), je suis bien consciente de l’avantage que j’ai de faire un metier qui me plait, de gagner ma vie correctement, et de "voir du pays", mais je ne suis pas d’accord pour qu’on occulte les inconvenients lies a cette situation,"
Je n’occulte rien du tout. Mais, m..., personne ne nous a forcé à le faire, ce métier. Quant à prétendre que "on ne savait pas que ça allait être comme ça", c’est, excuse-moi, de la mauvaise foi ou de la naïveté. Alors, il faut accepter les bons et les mauvais cotés. De la même façon que si tu ne veux pas te lever à 4h tout les matins il ne faut pas être boulanger, et que si tu veux dormir tout les soirs dans ton lit il ne faut pas être pilote de ligne. Il ne te viendrait pas à l’idée, si tu étais boulanger, d’exiger qu’on te garantisse de pouvoir te lever tout les jours à 8h...
Sans remettre en cause les bons et les mauvais côtés, il serait quand même bien qu’un jour, en France, les doctorants ne soient pas moins bien considérés que les étudiants qui sortent d’école d’ingé par les recruteurs.
[…]
" et la question perpetuelle : ou serai-je et dans quel etat errerai-je dans 6 mois (1 an, rayez la mention inutile...)."
Et alors ? Dans un an, je serais chercheur quelque part, et je toucherais un salaire qui me permettra de nourrir ma famille... Ce sera à Stellenbosch, à Sydney, à Ottawa ou à St-Etienne, mais de toutes façons, j’aurais de quoi manger et je ferais mon boulot. Alors...
La-dessus Jeff, si je peux me permettre, je trouve cela assez gonflé ! Le « dans un an, je serais chercheur quelque-part » s’applique sans doute dans ta situation, càd un chercheur confirmé et de renommée internationale dans son domaine, mais certainement pas à un étudiant sortant de thèse et ayant fait à peine 6 mois de post-doc.
Mais bien sûr, ce serait mentir de prétendre que ce n’est pas un souci de moins de ne plus avoir à chercher un autre contrat à la fin de celui-ci. Evidemment, ça fait un enquiquinement de moins. Ca, et ne pas avoir à organiser un déménagement, à chercher une école pour les enfants, à faire des permis de séjour (oh, les joies du "police clearance certificate for all the places you’ve been living in the past 10 years"...). bien sûr, mais pour autant ma vie ne s’organise pas autour de ça...
[…]
" Mais revenons a la science : peut-on raisonablement penser faire de la bonne recherche dans un systeme ou une grande partie des acteurs sont dans une situation instable, qui les oblige en permanence a penser a leur prochain poste, dans 6, 12 ou 18 mois,"
Oui.
Oui aussi.
Bon, 6 ou 12 mois c’est court, 2-3 ans c’est plus raisonnable. Mais oui on peut ; et à mon avis, la clef est d’arrêter de se focaliser sur le statut (tempiraire), et de se percevoir comme un (une) chercheur. Encore une fois, mon job depuis 10 ans, c’est chercheur. Ca l’a été quel que soit la forme de mon contrat de travail : allocataire de recherche, ATER, bourse de post-doc, ou lecturer en CDD ; tout ça, ce sont des détails. C’est pas la définition de mon boulot : la définition, c’est chercheur. C’est vrai qu’il faut penser à son prochain poste : il faut aussi penser à emmener les enfants chez le médecin et à payer la note de gaz (ou, si tu t’installes pour du long terme, les traites de la voiture et le prêt pour la maison). Ben oui, dans la vie des fois on a d’autres soucis que ceux de son métier, et alors, ça n’empêche pas de le faire, son métier, justement ! Je dis pas qu’il ne doit y avoir que des contrats de ce type ... en fait je suis agnostique, je m’en fiche, pour moi la forme ou la durée du contrat est un épiphénomène.
" pour lequel ils ont interet a avoir significativement allonge leur liste de publications, ou sinon... "
Ou sinon, quoi ? Quel genre de chercheur es-tu, de toutes façons, si tu ne publies pas ton boulot ? Oui, je sais, Einstein n’a jamais eu qu’une seule publication. Et Galilée n’a jamais publié dans Nature, si tu vas par là : c’était une autre époque où les choses étaient différentes (d’ailleurs ni Descartes, ni Galilée n’avaient de poste permanent...). Là, on est dans les années 2000. De nos jours, l’activité scientifique inclut de publier. C’est comme ça que ça marche, et "if you don’t like the rules, don’t play the game". Donc de toutes façons, publier tu dois le faire, parce que ça fait partie de ton boulot. A partir de là, ton dossier prend soin de lui-même. D’ailleurs, qu’est-ce qui te fait croire que tu n’aurais pas la même pression pour publier si tu étais sur un poste "tenured" ? Tu aurais des projets à écrire, il faudrait que tu rendes compte de ton activité, que tu justifie comment tu as dépensé tes sous, que tu expliques pourquoi tu penses pouvoir encadrer des étudiants : pour tout ça, il te faudra un "publication record". A moins que tu n’ais l’intention, du jour où tu as un poste en France, d’arrêter tout ça, et de te mettre en retraite anticipée ? Oui mais dans ce cas, tu comprendras qu’un éventuel recruteur préfère embaucher quelqu’un d’autre qui, lui (ou elle), continuera à être actif en recherche — même sur un poste permanent.
OK sur le fait qu’il soit important de publier régulièrement.
Et non, je ne crois pas au "chercheur génial mais qui ne publie pas beaucoup", non plus que au "type qui s’est consacré à une manip longue et qui n’a rien pu en sortir à court terme mais qui est vachement bon quand même". Si il était vachement bon, il aurait fini d’écrire ses résultats d’il y a 3 ou 4 ans ou eu un petit projet en parallèle, ou ... Si il n’a rien d’autre que sa grosse manip, qui ne donne rien avant 5 ans, il n’est peut être pas si bon, après tout...
Il y a quand même un biais si on ne considère que le nombre de publis. Cela n’est pas possible de faire des comparaisons interdisciplines, tant le temps de préparation que nécessite une publi va dépendre de la discipline.
[…]
" Pour conclure ce loooong commentaire (mais vous en reclamiez :-) )"
You’re welcome... Moi aussi je peux faire long (ça m’a occupé un voyage Perrache-Chateaucreux complet, et le pouce !).
Excellent le « Perrache-Chateaucreux », je l’ai expérimenté aussi ! Et attention à la Grippe A à Saint Etienne, elle tue des jeune gens en bonne santé ;)
" il ne me semble pas inutile d’evoquer la situation des chercheurs "non-permanents" et d’etudier l’opportunite a la fois pour les individus et pour la Science de leur proposer un statut un peu plus stable. "
Oui, mais qui doit "proposer" ? "On" ? "Ils" ? Comme dans toute bonne conversation en France ("Ils" m’ont supprimé mes allocs, "Ils" veulent nous obliger à faire ça...). N’importe qui, mais pas moi, pas toi, pas nous. Surtout, que quelqu’un d’autre prenne la responsabilité de ma vie, s’occupe de moi, et me fournisse un cocon bien confortable où je n’aurais rien à faire que d’attendre mes augmentations (premier échelon, 1 an et 2 mois...). Surtout, que je n’ai pas à me prendre en charge.
Là, très belle exagération Jeff !
[…]
" Désolé, mais je ne serai pas aussi prolixe que vous 2 ! "
Salut Romain, welcome back, long time no see...
C’est marrant quand même, je peux me casser le A (comme disent les gens qui ont un clavier qwerty — non elle n’est pas de moi celle-là, mais de Me Eolas sur son blog) à écrire des articles pleins de belle géologie et personne ne répond, et dès que je torche un p’tit bazar sur les malheurs des jeunes chercheurs ça se précipite au portillon. A vous dégouter de faire de la science, tiens. Je vais me mettre à la politique plutôt.
"Mon premier point est que le terme « précaire », en ce qui concerne la recherche scientifique, je le réserverais aux centaines de jeunes doctorants « bénévoles » en Sciences Humaines et Sociales (qui, comme tout un chacun le sait, ne sont pas une Science…), et donc je rejoins Jeff sur cet aspect. Un doctorant bénéficiaire d’une alloc MESR ou un post-doctorant sous contrat dans un labo, ne sont, de mon point de vue, pas des travailleurs précaires. "
Surtout que maintenent, vous avez un contrat de travail, non ? Ce qui pour le coup est une amélioration notable. CDD et exploitation, c’est pas synonyme...
" Sans remettre en cause les bons et les mauvais côtés, il serait quand même bien qu’un jour, en France, les doctorants ne soient pas moins bien considérés que les étudiants qui sortent d’école d’ingé par les recruteurs. "
Well, I guess, le point c’est justement que en tant que chercheurs, on est sur un marché du travail à l’échelle mondiale. Donc la situation en France est ce qu’elle est, mais clairement, ce n’est pas notre seule perspective (et si ça l’est, on est mal barré... mais je ne t’apprends rien). Du coup, les petites particularités de la France ... ben, oui, c’est agaçant, mais ça change pas fondamentalement la donne. On serait Australiens ou Canadiens, qu’on serait à peu près dans la même situation : si on ne cherche que dans notre pays, on a peu de chances de trouver.
" La-dessus Jeff, si je peux me permettre, je trouve cela assez gonflé ! Le « dans un an, je serais chercheur quelque-part » s’applique sans doute dans ta situation, càd un chercheur confirmé et de renommée internationale dans son domaine, mais certainement pas à un étudiant sortant de thèse et ayant fait à peine 6 mois de post-doc. "
Hmm... tu serais supris. Renommé dans mon domaine (merci, arrêtez les fleurs !), je ne l’était en tout cas pas il y a 6 ans quand je suis parti à Stellenbosch, et pourtant, je n’ai jamais eu vraiment de doute sur ma capacité à vivre de mon métier (par contre j’ai eu des doutes sur le choix que je faisais à ce moment : quitter mon pays, ou changer de métier ? J’ai pris la décision que tu sais, et ça n’a pas été facile, mais c’est mon choix et je l’assume, comme j’aurais assumé l’autre décision dans le cas contraire, sans chercher à en renvoyer la responsabilité sur quelqu’un d’autre). Tu serais, ou tu seras, surpris de constater comme il est facile de trouver un postdoc. Dans pas mal de pays, on en manque, et on en cherche. Sans m’avancer beaucoup, si il y a une chose que je pense pouvoir te garantir, c’est que si tu veux être chercheur, vivre de ta recherche, tu pourras le faire dans les prochaines années. Par contre il y a deux choses que je ne peux pas te promettre : c’est que ce sera en France, et c’est que ce sera sur un contrat de plus de 2 ans...
" OK sur le fait qu’il soit important de publier régulièrement. "
.. prenez en de la graine, les p’tits... :-)
(ce matin en cours de structurale, j’ai mentionné aux L3 que je pourrais sans doute leur trouver des sujet de M1/M2 en Afrique du Sud si ils voulaient. Puis j’ai mis leur cours en ligne sur ce site, en leur disant de venir chercher le poly eux mêmes. Du coup, si ils sont curieux et lisent cette discussion, je vais les dégouter à tout jamais de faire de la recherche... outre que je vais passer pour un gros vilain... Zut, c’est mal joué, ça !)
"Il y a quand même un biais si on ne considère que le nombre de publis. Cela n’est pas possible de faire des comparaisons interdisciplines, tant le temps de préparation que nécessite une publi va dépendre de la discipline. "
Il y a des tonnes de biais. Mais la plupart des gens qui te recruteront en sont assez conscients (et si ils ne le sont pas, ce ne sont probablement pas des gens avec qui tu veux travailler...). Le biais disciplinaire est évident, mais comme il est rare que sur un poste tu sois en concurrence avec des gens d’une autre discipline, ça en relativise l’importance. Il y a des problèmes pires...
"Là, très belle exagération Jeff ! "
Hé bien oui, j’exagère !
(...)
Mais pour le principe, et pour l’exemple aussi,
Je trouve qu’il est bon d’exagérer ainsi.
(Acte III, scène 8 aussi.....)
Nan, mais tes articles sur la Géologie, il n’y a rien à redire ;)
Et ouais, maintenant on a un CDD de 36 mois, c’est du long terme le doctorat ! Et bien sur que CDD et exploitation ne sont pas synonymes.
Le coup de l’école d’ingé, c’est effectivement à l’échelle nationale, qui n’est pas celle qui m’intéresse en ce qui concerne un(des) futur(s) emploi(s).
Bon allez, je vais essayer de trouver un article géologique où je peux t’enquiquiner un peu !
A plus tard !
Romain
La galère pour poster un commentaire : et après tu te plains que personne n’en laisse...
Bref, autant je suis d’accord avec le "si tu aimes pas les règles du jeu, n’y joue pas" (j’ai d’ailleurs employé la même image sur mon blog) autant je suis moins d’accord avec d’autres choses :
’On peut vivre de la recherche sans être permanent’. C’est vrai, mais bon, c’est pas byzance quand même. Après, je sais pas combien sont payés les post-docs en géologie et en Afrique du Sud, et je savais bien en me lançant dans une carrière académique que je deviendrai pas millionaire, mais bon, j’aimerais bien pouvoir vivre dans autre chose qu’un 40m2 avant d’avoir 50 piges, et ça en prend pas le chemin. Normalement l’avantage des contrats courts ou "instables", c’est un salaire prenant en compte le "risque", ça s’étend pas aux post-docs visiblement.
Autre chose : oui trouver un post-doc c’est facile. Par contre trouver un post-doc ou tu 1.apprends des trucs nouveaux 2.est indépendant 3.n’est pas considéré comme un technicien supérieur sans liberté de manoeuvre ou un tampon entre les thésards et le PI jamais la, ça l’est moins. Et se retrouver sur un post-doc merdique peut assez facilement devenir rhédibitoire dans l’hypothèse ou tu ne conçois pas de faire ça 10 ans (voir ci-dessous)
Je n’aime pas vraiment non plus le "moi j’ai plutôt bien vécu mon itinérance, c’est surtout une question de volonté et c’est pas si terrible". Pour faire une analogie foireuse, il y a eu ces dernières semaines pas mal de tentatives de suicide à France Télecom : des employés sont montés au créneau pour dire que mais non, les conditions de vie sont pas si terribles etc. Heureusement qu’il y a des personnes qui parviennent à s’adapter à des situations difficiles voire qui ne les ressentent même pas comme telles. Ca ne veut pourtant pas dire qu’elles ne sont pas difficiles et qu’il ne faut rien y changer. Et bon, vivre à 200 bornes de sa femme ou plus, déménager tous les 2 ans ou moins, et économiser de quoi payer le retour, ce n’est pas franchement une situation facile, une fois passés les 30 piges (quand on est étudiant, c’est plutôt chouette, mais je commence à en avoir ras la patate de vivre comme un étudiant, justement).
Au sujet des publis enfin : Je suis d’accord que les génies qui ne publient pas ça n’existe probablement pas. Par contre des mecs moyens qui publient beaucoup et des mecs bons qui publient moyennement, il y en a la caisse. Et ce seront plutôt les premiers qui auront le boulot, à l’heure actuelle. Ce que je n’aime pas dans le système actuel des post-docs et autres contrats courts, c’est qu’il ne favorise pas la prise de risque. Je ne sais pas comment c’est dans ton domaine, mais dans le mien c’est assez facile (je dis bien "assez", hein, je ne dis pas que dès que tu te fous à la paillasse trois jours tu sors un Nature) d’aller sur un sujet à la mode et de sortir 1-2 papiers par an. C’est assez facile aussi d’aller sur un sujet plan-plan et de publier idem. Par contre, c’est très dangereux d’aller explorer des trucs nouveaux parce que, avec un post-doc de 2 ans max (au-delà de 2 ans et demi, même si tu as sorti des bons résultats, on va penser que tu t’encroutes), c’est facile d’avoir un gap dans le CV qu’on te pardonnera difficilement parce qu’il y aura toujours quelqu’un qui aura son bon petit CV sans aspérité comme on aime bien en France (sauf si tu attends x années pour le combler, mais je te renvoie à mon troisième point, tout le monde n’envisage pas de patienter 5 ans avant de postuler : le fait de postuler, qui bouffe 3 mois dans l’années, est pas spécialement un facteur qui donne envie de prendre des risques non plus).
Voila voila, désolé il est tard, j’espère ne pas avoir fait trop de fautes ou de phrases suralambiquées.
Mix
Effectivement la discussion continue... Je ne pretends pas non plus faire plus que d’exprimer mon ressenti, qui est different du votre.
En particulier sur ces points (rapidement) :
"Quel genre de chercheur es-tu, de toutes façons, si tu ne publies pas ton boulot ?" De maniere generale, il est evident que publier fait partie integrante du travail d’un chercheur. Et jusqu’a avoir recemment plusieurs cas sous les yeux, je n’etais pas loin de penser comme vous que celui qui n’a rien publie en 3 ou 4 ans n’est peut-etre pas si doue que ca. Sauf que finalement, il est vite arrive de perdre a un ou deux concours de circonstances et de se retrouver avec des soucis techniques qui rallongent des manips deja longues si elles s’etaient deroulees sans accroc et/ou empetre avec des collegues qui bloquent les publis pour une serie de raisons politiques ou personelles improbables. Alors, oui, on peut esperer que les soucis techniques vont se resoudre, que les publis virtuelles vont finir par sortir avant d’etre obsoletes, mais il faut bien reconnaitre qu’il y a une bonne part de chance la-dedans, et il n’est pas evident de rester en poste, serait-ce non-permanent, jusque la. Je suis bien consciente de la necessite de publier n’est pas moindre pour les chercheurs permanents, mais au moins leur poste n’est-il pas remi en question sytematiquement (du moins en France). Par ailleurs, comme l’a dit quelqu’un plus haut, il est plus facile pour des chercheurs experimentes de se remettre de ce genre de situation que pour quelqu’un en debut de carriere. Ce qui m’amene a ce qu’"on" pourrait proposer comme statut non-permanent :
"On" n’a pas a etre un deus ex-machina quelconque, les employeurs actuels des chercheurs (organismes de recherche, universites, laboratoires divers) peuvent tout a fait reflechir a cette problematique. Vous admettez vous-meme que 2/3 ans commence a etre un delai plus raisonnable pour concevoir un travail de recherche serieux. Nous sommes bien d’accord - je pousserai meme a 3/5 ans. Franchement, les annonces de post-docs cherchant deseperemment un candidat ayant soutenu sa these dans une fourchette ubuesque, de surcroit motive pour venir s’enterrer a trifouillis-les-oies pendant 6 a 12 mois sans perspective de suite me font plutot rire jaune. Comme l’a bien dit Mix, on veut bien etre flexible et tout, mais il y a des limites.
Quant a votre analogie avec les boulangers ou les pilotes, je persiste a en deconvenir. N’ayant aucun contact avec ces professions, je suis mal placee pour savoir la proportion de boulangers ne levant pas a 4 h, ou la proportion de pilotes ne souffrant pas du decalage horaire. En revanche, je peux vous affirmer que la proportion de chercheurs dans mes labos de these et DEA ayant obtenu un poste directement apres leur these, souvent dans le meme labo est vraiment elevee. Au point que je serai bien peine de trouver un exemple qui ne suive pas ce schema...
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[Dix minutes plus tard] Tristement, toujours aucun exemple...
Alors, heureusement pour moi, ma decision de faire un postdoc a l’etranger n’etait pas fondee sur l’espoir d’un tremplin pour trouver un poste immediatement derriere, parce que sinon, bonjour la deception !
" Je ne pretends pas non plus faire plus que d’exprimer mon ressenti, qui est different du votre. "
Je crois que c’est un point important : l’empilement de contrats courts, c’est une réalité objective. Par contre la façon dont on le vit est éminemment personnelle, ce peut être insupportable pour les uns, et parfaitement vivable pour les autres.
" De maniere generale, il est evident que publier fait partie integrante du travail d’un chercheur. Et jusqu’a avoir recemment plusieurs cas sous les yeux, je n’etais pas loin de penser comme vous que celui qui n’a rien publie en 3 ou 4 ans n’est peut-etre pas si doue que ca. Sauf que finalement, il est vite arrive de perdre a un ou deux concours de circonstances (etc.)"
Mouais. Alors là, je ne me hasarderais pas à parler pour d’autres diciplines que ma petite partie de la géologie (mais j’ai le sentiment que des copains physiciens ou info ne me contrediraient pas forcément). Toujours est-il que en géologie, je n’y crois pas. Le mythe de "la manip qui est dure à faire marcher et du coup on ne publie rien pendant 5 ans", non, je ne n’y crois pas. Les gens que je connais qui ont une manip qui n’a pas marché, ils n’ont pas non plus publié après, quand elle a fini par marcher ! Ou alors, il leur a fallu 6 ans pour la faire marcher, et quand elle a marché elle était totalement dépassé parce que d’autres, ailleurs (y compris en France !) avaient réussi à la monter, eux. En deux ans. Bizarre... Un article que je n’ai pas soumis, pour des raisons diplomatiques, ça m’est arrivé aussi, une fois. Bon, j’ai perdu 4 ou 6 mois (et encore, il y a eu un ou deux congrès sur ce truc). Pas 3 ans, et même comme ça, je n’ai pas fait que ça pendant 6 mois, j’ai du sortir un ou deux articles la même année.
Savoir gérer sa productivité, ça fait aussi partie du boulot : si on sait qu’on est en train de tenter un truc risqué, on ne met pas tout ses oeufs dans le même panier ... La chance, ça se gère aussi, on n’est pas obligé de se mettre dans une position ou si on manque de chance, on est mort.
Alors après, avoir un tel concours de circonstances et tellement de malchance qu’on a une manip qui foire, et que le "plan B" ne marche pas non plus, et que on est la victime de visées politiques, le tout conspirant pour que pendant 5 ans on ne sorte rien du tout, pas même un abstract par an dans des congrès, pas même des papiers avec des étudiants ou des collaborateurs.... Oui, je suppose que ça peut arriver à quelqu’un d’extrêmement malchanceux, mais dans ce cas là, quelqu’un qui a la guigne à ce point, je ne suis pas certain que je veuille travailler avec lui. Ou pour le dire autrement, "if somebody has consistently bad luck, it probably isn’t luck".
A l’inverse, en tant qu’encadrant, je ne proposerais pas à un étudiant un projet sans avoir une idée des publications qu’on peut en tirer. Bon, on changera sûrement de plans en cours de route ; mais au moins, on commence avec une idée de ce qu’on peut faire. Et je ne proposerais pas un sujet sans être raisonnablement certain qu’on peut en tirer du jus : prendre des risques, ça va quand on est assez expérimenté pour les évaluer et les assumer, ou quand on a une carrière suffisament bien lancée pour pouvoir se permettre un petit trou d’air sans casse. Autrement, c’est un peu ... suicidaire.
Alors évidemment, il y a le cas du pauvre thésard qui est tombé sur un sujet pourri sans s’en rendre compte... Mais lui, pour triste que soit son sort, ne rentre pas exactement dans la discussion qui nous occupe, parce que là on parle plutôt de gens à des niveaux un peu plus avancés, et capables de gérer leur propre carrière...
" Je suis bien consciente de la necessite de publier n’est pas moindre pour les chercheurs permanents, mais au moins leur poste n’est-il pas remi en question sytematiquement (du moins en France)."
Non, mais arriver sur une voie de garage, c’est pas génial non plus... Même si on n’est pas au chômage, c’est pas exaltant. Si on me laissait le choix entre perdre mon boulot, et le garder mais sans rien pouvoir faire d’intéressant ... je me demande si je ne choisirais pas de démissioner et de tenter ma chance ailleurs. Mais "that’s besides the point".
" Par ailleurs, comme l’a dit quelqu’un plus haut, il est plus facile pour des chercheurs experimentes de se remettre de ce genre de situation que pour quelqu’un en debut de carriere. "
Ce qui veut peut-être dire, tout simplement, qu’il y a un temps pour tout dans sa carrière : un temps pour monter en puissance, et un temps pour prendre des risques, quand on a établi une base solide.
" Franchement, les annonces de post-docs cherchant deseperemment un candidat ayant soutenu sa these dans une fourchette ubuesque, de surcroit motive pour venir s’enterrer a trifouillis-les-oies pendant 6 a 12 mois sans perspective de suite me font plutot rire jaune."
Post-doc Gloomy ? Tu parles d’un post-doc CNRS ? :-) Quoique en l’occurence, c’est peut être plutôt un post-doc à moustaches dont le but est de donner à manger pendant 5 mois au candidat local qui sera recruté quoi qu’il arrive en Mai.... Dans tout les cas, je prends pas (et plaise au Ciel que, en tant que prof, je n’ai jamais le culot de proposer une m... pareille, qui en plus sera du gâchis de mon argent, parce que payer 6 ou 12 mois de salaire alors que je sais pertinement que ça ne donnera aucun résultat en recherche, quelle blague !).
Non, sans blague : bien sûr que ce genre de trucs, c’est n’importe quoi. Pour le postdoc, mais aussi pour le labo, qui ne retirera jamais rien de cette histoire. Le fait que ce soit ce que le CNRS propose montre bien qu’ils n’ont rien compris, mais c’est pas un scoop (ne me lances pas sur la question du CNRS, parce que je finirais par être désagréable...). J’ai pas non plus dit qu’on devait aller faire n’importe quel contrat à la noix sous prétexte de mobilité. Après tout, signer un contrat ça se fait à deux. Personne n’est obligé de signer...
"En revanche, je peux vous affirmer que la proportion de chercheurs dans mes labos de these et DEA ayant obtenu un poste directement apres leur these, souvent dans le meme labo est vraiment elevee."
Good point, mais qui démontre quoi ? Que ls système Français (ou W.Européen, cf. http://expbook.wordpress.com/2008/04/22/academic-inbreeding/) est complètement vérolé et vérouillé, et que plein de gens prêchent le "faites ce que je dis et pas ce que je fais" ? Mais ça, peu de monde l’ignore. Rectificatif : parmi les gens partis à l’étranger pendant une partie de leur carrière, peu de monde l’ignorent.
Tu me démontre qu’on peut être chercheur sans avoir passé par un stade de mobilité internationale : c’est sans doute vrai en France (et en Italie). Mais ce n’est ni géénral à l’échelle mondiale, ni très sain — non pas que ce soit mal en soi, mais parce que ça s’accompagne d’un certain nombre d’effets pervers, à mon avis pires, y compris pour les jeunes chercheurs, que l’obligation de devoir partir quelques années.
Parce que parmi tout ces gens qui ont fait toute leur carrière, du DEA au poste de prof, dans le même labo, quelle proportion sont des chercheurs de qualité reconnue internationalement ?
"La galère pour poster un commentaire : et après tu te plains que personne n’en laisse..."
Ah, si je passais moins de temps à troller^h^h argumenter sur des sujets polémiques, j’aurais plus de temps pour réparer mon site. Y’a un expert en spip dans la salle ???
"On peut vivre de la recherche sans être permanent’. C’est vrai, mais bon, c’est pas byzance quand même. "
Ouais, en fin, un post doc CNRS en France par exemple (pour prendre un exemple que tout le monde connait) c’est quoi, 2000 euros ? C’est déjà au dessus de la mdédiane des revenus des Français, et c’est plus qu’une bonne partie de la population ne gagnera jamais, même en fin de carrière à 55 ans...
En RSA, c’est en ce moment 10-15 000 R par mois, ce qui fait 1000 - 1500 euros : un lecturer touche dans les 14 - 18 000 selon les endroits (plus une retraite, il est vrai, ce qui compte à la fin !!). Et le salaire moyen est de 3000 R, mais c’est un cas particulier.
Dans l’ensemble, c’est donc pas si mal, un post doc. D’autant qu’il faudrait regarder sur une carrière complète (bon, je sais, la France fait très mal les reconstitutions de carrière donc ça marche mal) : si être moins payé quelques années permet d’avoir ensuite un poste bien payé plus tôt, au bout du compte le bilan est pas forcément mauvais.
"..., mais bon, j’aimerais bien pouvoir vivre dans autre chose qu’un 40m2 avant d’avoir 50 piges,"
En même temps, pourquoi tu crois que je l’ai accepté, ce fameux poste de prof... ? Sans vouloir être méchant, c’est pas pour les géniales conditions de boulot dans une fac de province Française, hein.
(NB pour les parisiens : ceci dit, un appart de 130 m2 en centre ville de StE, 650-800 euros par mois à la location. Ca a du bon les facs de province...).
" Autre chose : oui trouver un post-doc c’est facile. Par contre trouver un post-doc ou tu 1.apprends des trucs nouveaux 2.est indépendant 3.n’est pas considéré comme un technicien supérieur sans liberté de manoeuvre ou un tampon entre les thésards et le PI jamais la, ça l’est moins."
Peut être, encore que ça dépend sans doute de la situation globale dans ton domaine, je pense. En particulier si il y a une demande privée forte, les PI sont obligés de ne pas offrir n’importe quoi si ils veulent du monde.
" Je n’aime pas vraiment non plus le "moi j’ai plutôt bien vécu mon itinérance, c’est surtout une question de volonté et c’est pas si terrible". Pour faire une analogie foireuse, il y a eu ces dernières semaines pas mal de tentatives de suicide à France Télecom : des employés sont montés au créneau pour dire que mais non, les conditions de vie sont pas si terribles etc. Heureusement qu’il y a des personnes qui parviennent à s’adapter à des situations difficiles voire qui ne les ressentent même pas comme telles. Ca ne veut pourtant pas dire qu’elles ne sont pas difficiles et qu’il ne faut rien y changer."
Tu veux me dire quoi : que je suis un grand naïf qui ne me suis pas rendu compte que j’ai eu une vie de merde ?
"(quand on est étudiant, c’est plutôt chouette, mais je commence à en avoir ras la patate de vivre comme un étudiant, justement)."
Voir mon point précédent : moi aussi j’en ai eu marre et j’ai décidé d’arrêter, parce que j’ai envie d’autre chose.
Alors, est-ce que c’est un choix de ma part ? Pas uniquement, c’est clair qu’une opportunité s’est ouverte, indépendamment de ce que je peux faire, vouloir ou dire. Mais quand même un peu, non ? Cette opportunité, j’ai bien décidé de la saisir, comme j’aurais pu décider de ne pas. Comme j’aurais pu il y a 5 ans décider d’arrêter les frais, de ne pas partir en post-doc et de prendre un poste de prof de collège. Ou il y a trois ans d’aller voir Anglo et de demander un boulot de géologue sur une mine.
J’ai toujours eu le sentiment d’avoir le choix, et de prendre des décisions non pas par défaut, mais parce que c’est ce que je voulais faire. Bien sûr, toutes les options ne sont pas ouvertes. Etre à la fois chercheur, installé, et faire des choses intéressantes, c’est pas toujours possible, et heureux ceux qui le peuvent (’doivent pas être Français, ceux-là). J’ai privilégié le 1 et le 3 pendant 6 ans, aujourd’hui c’est le 1 et le 2. Mais j’aurais pu choisir le 2 depuis longtemps (en allant faire un autre métier), si vraiment ça m’avait pesé. J’ai la chance aujourd’hui de pouvoir combiner les options 1 et 2, et par rapport à vous, je suis bien conscient que j’ai pas mal de bol, mais hé, les gars, vous croyez quoi ? Que c’est une décision qui ne coûte rien ? Elle coûte le point 3, pourtant.... TANSTAAFL, vous savez. Si seulement je pouvais être canadien ou américain, je pourrais espérer avoir les trois ensemble. Waouh... Ne l’étant pas, je me contenterais du possible.
Non, je ne crache pas dans la soupe et je ne demande pas qu’on me plaigne d’avoir un poste en France, right ? D’abord parce que j’assume mes décisions. Je dis juste qu’on peut faire des choix. Pas parmi une palette infiniment ouverte, ce sont des choix entre quelques options, dont aucune n’est probablement notre idéal. C’est à chacun d’arbitrer entre ses préférences, ce qui est ou pas important pour lui, à un moment donné : pour moi, la stabilité de l’emploi, ça n’a pas toujours été une priorité. Vous avez le droit d’avoir des priorités différentes. Et même d’en changer au cours du temps. Mais on a toujours le choix. On n’est pas juste les jouets des circonstances, les victimes du système. Nos propres décisions comptent, et en fin de compte ce sont elles qui façonnent notre vie.
"Je suis d’accord que les génies qui ne publient pas ça n’existe probablement pas. Par contre des mecs moyens qui publient beaucoup et des mecs bons qui publient moyennement, il y en a la caisse. Et ce seront plutôt les premiers qui auront le boulot, à l’heure actuelle."
C’est là que j’ai un doute ... ou plutôt, deux doutes. D’abord, si ils ne publient pas, comment tu sais qu’ils sont bons : qui te l’as soufflé dans le creux de l’oreille ? "God, pers. Com", comme on dit ? Je ne crois pas qu’il y ait de hiérarchie absolue des gens, des bons aux moins bons, en tout cas pas une qui soit indépendante de ce que tu peux voir de leur travail.
L’autre point, c’est que si il y a peut être quelques génies, et quelques branquignols, pour la majorité d’entre nous bon ou pas bon, ça veut rien dire. On est plus ou moins adapté à un boulot donné, à un moment donné, à un endroit donné. Ca ne nous rend pas meilleurs, ou plus mauvais, que le voisin qui travaille dans un thème différent ou une ville différente.
" Ce que je n’aime pas dans le système actuel des post-docs et autres contrats courts, c’est qu’il ne favorise pas la prise de risque."
Je crois avoir largement répondu à ça dans mon autre com’ plus haut, non ?
Vu de ma fenêtre, mais les choses peuvent être différentes ailleurs, j’ai un peu l’impression que la prise de risque, c’est une excuse commode : "ah oui, j’ai rien publié, mais c’était un sujet risqué". Mouais. Moi ce que je vois, c’est que c’était surtout un "poor study design" (ou au mieux tu t’es mis à la merci de circonstances indépendantes de ta volonté, comme ce type qui travaille sur des sismographes en Antarctique : pas de chance, mauvais temps pendant trois campagnes successives, pas moyen de récupérer les données pendant trois ans, au bout de trois ans les batteries sont mortes et les machines détruites, fin de l’histoire) ; ou alors qu’il n’y avait pas moyen de faire autrement (mais bon, quand tu essaies des coups de ce genre, tu le sais que c’est un coup de poker, alors tu assures tes arrières !).
Est-ce que vraiment l’énergie que tu dépenses sur un sujet risqué, tu n’aurais pas mieux fait de l’investir sur un sujet plus fiable ? Pas en termes de carrière, juste en terme de progression des connaissances, est-ce que ce genre de risques c’est ce qui nous apprend le plus, collectivement, en tant que communauté : entre 10 sujets dont on sait qu’ils vont tous apporter une brique à l’édifice, réguliers comme une horloge, et au bout du compte on aura quand même pas mal déblayé le terrain ; et 10 sujets dont on sait que 1 sur 10 va payer, et va nous faire faire un bon de géant, mais que les 9 autres c’est poubelle : je ne suis, vraiment, pas certain de ce qui est le plus utile à terme.
Mais c’est peut être pas pareil en bio, je sais pas...
Et effectivement, la période post doc n’est peut être pas la bonne pour prendre des risques... Pourquoi pas ? Ca ne me choquerait pas outre mesure. Après tout, en thèse on est là pour apprendre le métier, en post doc pour accumuler de la conaissance et maitriser son domaine, et puis ensuite on est paré pour se lancer dans de la haute voltige, avec en particulier assez de recul pour décider, justement, et en pleine connaissance de cause, si un sujet est risqué ou pas, si ça vaut le coup de le faire, etc. Au début de mon postdoc, j’aurais pas pris de risques ... parce que justement, je ne me rendais pas vraiment compte de ce qui était un bon projet ou pas. Oh, j’étais un honnête chercheur, je crois : capable de m’attaquer à un problème, et de le résoudre. Par contre pour ce qui est de définir un projet, une question de recherche, une stratégie pour la résoudre ? Non, je ne savais pas faire. J’irais pas jusqu’à dire que je sais maintenant, mais j’arrive à le faire croire aux gens...
" (au-delà de 2 ans et demi, même si tu as sorti des bons résultats, on va penser que tu t’encroutes)"
Que devrais je dire du haut de mes 6 ans à Stellenbosch...
"c’est facile d’avoir un gap dans le CV qu’on te pardonnera difficilement parce qu’il y aura toujours quelqu’un qui aura son bon petit CV sans aspérité comme on aime bien en France"
D’ou mon point, auquel on revient : y’a pas que la France dans le monde, et je dirais même plus, la France n’est sans doute pas le meilleur pays du monde pour faire de la recherche parce que tu te feras toujours passer devant par "un CV sans aspérité", ou comme dit Aisling, "les types qui ont fait leur DEA-thèse-et la suite dans le même labo". Ben oui, et c’est un constat qui ne m’amuse pas plus que toi...
"Voila voila, désolé il est tard, j’espère ne pas avoir fait trop de fautes ou de phrases suralambiquées."
Pareil.
"bon, je sais, la France fait très mal les reconstitutions de carrière donc ça marche mal."
Oui c’est un peu ce que je voulais dire. Ok, y a pas que la France dans la vie, mais j’aimerais bien y vivre. Je suis chercheur français, pas demandeur d’asile, ça devrait pas être considéré comme une demande extravagante...
"Tu veux me dire quoi : que je suis un grand naïf qui ne me suis pas rendu compte que j’ai eu une vie de merde ?"
Non, je voulais dire que si tu as kiffé ta life, tant mieux (c’est la tienne donc c’est pour toi que ça compte vraiment), mais que ce n’était pas pour autant vraiment généralisable. Je disais aussi que je kiffe moyennement la mienne (je suis pas encore au stade où ça me sort par les yeux et comme toi je connais quelques personnes qui haïssent leurs situation de post-doc et qui malgré tout s’acharnent depuis 5 ans et je ne pige pas trop : si vraiment tu détestes ce que tu fais, ton chef et tes collègues, au moins change de labo). Bref, je connais les règles du jeu, je les accepte, mais je les trouve pour le moins contestables et en ce qui me concerne, je n’y jouerai pas encore 5 ans.
"D’abord, si ils ne publient pas, comment tu sais qu’ils sont bons ? On est plus ou moins adapté à un boulot donné, à un moment donné, à un endroit donné. Ca ne nous rend pas meilleurs, ou plus mauvais, que le voisin qui travaille dans un thème différent ou une ville différente. "
Je n’ai pas dit qui publiait "pas", mais "moyennement" justement. On est à l’heure actuelle dans le tout quantitatif ou presque, et assez souvent (pas toujours, heureusement, mais pour combien de temps encore ?), un mec qui a 8 publis a plus de chances d’avoir le poste de MdC que celui qui en a 5. Autant tu as raison, un mec avec 12 publis est probablement meilleur que celui qui en a 1. Mais je trouve que le potentiel de quelqu’un se voit assez vite quand on parle avec lui au quotidien, et j’ai rencontré pas mal de gens "moyens" (qui me semblaient avoir une compréhension scientifique comparable à la mienne) avec plutôt beaucoup de publis, pour une raison x ou y (typiquement le prof publie à mort parce qu’il a la tenure au bout du couloir), et des mecs "bons" (les mecs qui pigent ce qu’ils racontent, ça se voit vite) qui publiaient moins, parce qu’eux ou leurs chefs sont pas carriéristes etc. La ou le quantitatif est encore pire, c’est que l’âge ne rentre même plus en compte. Pour prendre mon cas particulier, j’ai terminé deuxième à une audition parce que le mec premier avait 10 publis de plus que moi sur son CV. Ok, mais il avait aussi 5 ans de plus... Ramené à l’âge, il publiait probablement un peu plus vite que moi, mais la différence n’était pas énorme (je n’en veux pas au gars ni au jury, c’est juste pour l’exemple). Avoue que c’est un peu idiot comme façon de voir les choses (je me souviens que tu disais la même chose sur le h-index : oui, il y a sûrement une différence de qualité scientifique entre un h-index de 10 et un h-index de 50 à âge égal. Par contre, entre 11 et 13, bof. Mais plein de gens ne semblent pas vraiment aware de ça).
Ce que je n’aime pas dans le système actuel des post-docs et autres contrats courts, c’est qu’il ne favorise pas la prise de risque."
Là, je ne parlais pas vraiment de "la manipe qui marche pas sur laquelle tu t’acharnes pendant 5 ans". Je pensais plutôt de : - partir dans un nouvel environnement - travailler sur une autre thématique - s’écarter des sentiers battus. On encourage les post-docs à partir à l’étranger mais on aime bien recruter le mec qui est pas allé plus loin qu’Orsay. On reproche au gars de pas avoir publié pendant sa première année de post-doc alors que le mec est allé "refaire" sa vie et apprendre à bosser dans un nouvel environnement. On lui reproche de pas avoir beaucoup publié parce qu’au lieu d’avoir continué de faire ce qu’il faisait en thèse, il a choisi d’apprendre quelque chose de nouveau et que ça a pris du temps. Ou de pas publier beaucoup parce qu’au lieu d’aller bosser sur le sujet à la mode avec le PI qui publie 120 papiers par an, il est allé bosser sur un sujet un peu plus exotique et moins glamour. Ce genre de choses... En France en tout cas on aime bien les parcours bien lisses et au niveau du post-doc je trouve ça un peu dommage, c’est tout.
"Mais c’est peut être pas pareil en bio, je sais pas..." Je suis physico-chimiste (polymériste), pas biologiste.
" (au-delà de 2 ans et demi, même si tu as sorti des bons résultats, on va penser que tu t’encroutes)" Que devrais je dire du haut de mes 6 ans à Stellenbosch...
Dans mon domaine (et plus généralement dans la plupart des domaines de la physique ou de la chimie expérimentale), rester moins d’un an et plus de deux ans et demi au même endroit n’est pas forcément très bien vu dans le cadre du post-doc. Ca peut monter à trois ans dans les domaines "lourds" (astro, ou PQ il me semble), mais guère plus. Ca diffère pas mal selon les domaines : en bio rester moins de deux ans et demi-trois ans dans un labo est généralement signe que ça n’a pas marché. 4 ans est "classique".
"D’ou mon point, auquel on revient : y’a pas que la France dans le monde, et je dirais même plus, la France n’est sans doute pas le meilleur pays du monde pour faire de la recherche parce que tu te feras toujours passer devant par "un CV sans aspérité", ou comme dit Aisling, "les types qui ont fait leur DEA-thèse-et la suite dans le même labo". Ben oui, et c’est un constat qui ne m’amuse pas plus que toi..."
D’accord. Je conclue moi aussi sur mon premier point : Je suis chercheur français, j’aime mon pays, j’ai bien tout fait comme on m’a dit depuis 30 ans pour avoir mon bon petit CV de bon petit soldat (prépa, concours, bonne école, DEA avec mention, thèse avec mention, publis, congrès, post-docs à l’étranger, séminaires, enseignement, casier judiciaire vierge, bien blanc de peau, taille moyenne, blablabla), trouver un boulot raisonnablement payé et intéressant en France ne devrait pas être tant que ça le parcours du combattant, même si rien ne m’est dû.
Mix
« Good point, mais qui démontre quoi ? »
Il me semble que ca montre qu’on ne sait pas "des le depart" ou on met les pieds. Oui, apres quelques mois a l’etranger, bien sur qu’on a pige. Mais on a deja au minimum 5 ans de recherche derriere soi (DEA+these+pos--doc). Il est donc innexact voire malhonnete d’affirmer que toute personne qui se lance dans la recherche est bien au courant qu’il faut voir sa carriere dans un contexte mondial, et que faire ce metier en restant dans les frontieres de l’hexagone n’est pas vraiment envisageable. Et malheureusement, cet aspect des choses est aussi difficilement concevable par nombre de gens en poste, puiqu’eux on bien reussi a ne pas partir !
Ce que montre le fait qu’une majorite de chercheurs en France ont encore un profil de carriere tres "local" c’est aussi que soit :
les gens qui font un post-doc a l’etranger n’ont pas vertu a obtenir un poste en France ensuite
les postes Francais n’ont pas vertu a etre pourvu par des candidats ayant fait un post-doc a l’etranger
La realite est surement entre les deux, dans la mesure ou etre sur place pour travailler ses contacts (eventuellement au detriment de sa recherche) reste a mon avis le meilleur moyen d’obtenir un poste en France a l’heure actuelle. Par ailleurs, les gens partis a l’etranger ont plus de facilite a y rester, surtout une fois constate la difference de conditions de travail, etc. Une fois plus, je persiste a affirmer que cet etat de fait n’est absolument pas connu du candidat francais lambda amorcant une carriere dans la recherche.
Une fois au fait de la situation, la marche a suivre reste evidemment la meme : "Deal" ! - C’est ce qu’on essaye tous de faire.
Sinon, Mix a bien resume la situation pour les publis - d’autres indicateurs moyennement visibles de la valeur d’un candidat "faiblement publiant" sont par exemple les depots de breuvet ou la promotion des encadrants reposant sur le projet de l’impetrant.
" Il me semble que ca montre qu’on ne sait pas "des le depart" ou on met les pieds. Oui, apres quelques mois a l’etranger, bien sur qu’on a pige. Mais on a deja au minimum 5 ans de recherche derriere soi (DEA+these+pos—doc). Il est donc innexact voire malhonnete d’affirmer que toute personne qui se lance dans la recherche est bien au courant qu’il faut voir sa carriere dans un contexte mondial,"
Ah, oui, je vois. D’accord, de ce point de vue en effet. A mon avis, on devrait, quand même. On a tous été naïfs, non ? Moi le premier, gros malin que j’étais, premier de mon DEA, convaincu qu’un poste m’attendait à la fin de ma thèse ... tu parles. Avec le recul, j’aurais pu m’en douter, mais c’est facile de parler après coup.
En tout cas, en tant qu’enseignant, je m’assure que mes étudiants sont au courant de ça. C’est le moins que je puisse faire.
- les gens qui font un post-doc a l’etranger n’ont pas vertu a obtenir un poste en France ensuite
les postes Francais n’ont pas vertu a etre pourvu par des candidats ayant fait un post-doc a l’etranger
Bon résumé... Et navrant constat, je te l’accorde volontiers. Bah, c’est aux gens comme nous (à ceux d’entre nous qui arrivent à rentrer !) de faire un putsch pour changer les choses...
Une fois plus, je persiste a affirmer que cet etat de fait n’est absolument pas connu du candidat francais lambda amorcant une carriere dans la recherche.
Hm. Point taken, mais je me demande si c’est toujours vrai. Ca l’était pour ma génération (début de thèse à la fin des années 90), on ne savait pas du tout ce genre de choses ... ou plutôt, on ne voulait pas le savoir, peut être, parce que quand même, les premiers rapports hotdocs, les manifs des thésards à l’assemblée des sciences, tout ça, c’était bien vers 95 ou 96, non ? Si on avait fait l’effort de regarder autour de nous (et pas de croire notre entourage, "mais non, si tu travailles bien et que tu es bien sage, tu auras un poste"), on aurait pu le savoir. Si on avait compté le nombre d’anciens thésards disparus dans la nature pour ne plus jamais être revus. Si on avait compté, simplement, que à population constante, un chercheur qui forme plus de un thésard dans sa carrière forme forcément des gens qui ne finiront pas à l’université (ou pour dire autrement, que 10 000 docteurs par an et 60 000 EC, ça ne boucle pas parce que une carrière d’EC dure plus de 6 ans, et que même en doublant la masse des EC une carrière ne dure pas non plus 12 ans...). Tout ça, si on s’en était donné la peine, on l’aurait su. Alors, on ne nous l’a pas dit (au contraire, à mon époque c’était "il va y avoir plein de départs à la retraite"). Mais on s’est bien laissé aveugler, tellement on avait envie d’y croire...
Et ça c’était en 96-99. Trois ou cinq ans après, pouvait-on encore décemment l’ignorer ? Et à partir de 2004, des manifs des chercheurs, des actions jeunes chercheurs, etc., c’est presque devenu de notoriété publique. Je veux bien entendre l’argument pour les gens qui ont soutenu avant, allez, avant 2005. Pour les plus jeunes, l’info état là, disponible pour qui voulait la trouver, et ne pas se contenter de bonnes paroles...
d’autres indicateurs moyennement visibles de la valeur d’un candidat "faiblement publiant" sont par exemple les depots de breuvet ou la promotion des encadrants reposant sur le projet de l’impetrant.
Mais si ça ne comptera pas pour un post-doc (et à juste titre, puisque le boulot d’un post doc est de faire de la recherche, pas ... toute sortes d’autres choses très utiles par ailleurs), ça sera valorisable pour un poste de staff (en CDD ou tenured). En particulier en France, d’ailleurs (où on voit des gens recrutés avec zéro publis, sur la vertu de leur activité encadrement/diffusion/etc.).
En particulier en France, d’ailleurs (où on voit des gens recrutés avec zéro publis, sur la vertu de leur activité encadrement/diffusion/etc.).
Et oui, mais justement, ceux-la ce ne sont pas ceux qui sont partis en post-doc a l’etranger ! C’est plutot ceux qui sont restes sur place s’occuper de leurs contacts.
Pour revenir aussi sur les post-docs "gloomy", en gros c’est soit une aubaine pour le labo et le candidat s’il y a un candidat sur place, soit c’est une galere pour tout le monde quand il n’y a pas de candidat moustachu, ou que celui-ci s’est defile au dernier moment (au hasard : il a trouve mieux entre-temps). Je pense que quand une telle annonce arrive sur les listes de diffusion, la situation ne fait pas mystere. A la limite c’est meme pire pour le labo, parce que s’il ne trouve pas de candidat, le financement est perdu et les possibilites d’en decrocher un autre doivent etre d’autant plus limitees. Mais globalement, on a un gros gachis.
Mix,
Je crois qu’on finit à peu près sur le même constat en définitive, non ? On peut avoir une carrière de chercheur, et on peut vivre en France. Les deux ensemble, c’est plus difficile.
La principale différence, c’est que alors que ça te révolte et que tu estimes que "ils" devraient y faire quelque chose, et que tes demandes sont très raisonnables, et que pourquoi "ils" ne veulent pas les satisfaire ; je pense quand à moi qu’il n’y a pas de "ils", il n’y a personne pour satisfaire ou même écouter nos demandes, et que chacun se débrouille comme il veut ou comme il peut pour slalomer dans le monde tel qu’il est. A la rigueur, plutôt que perdre mon temps à me révolter, je préfère écrire un papier de plus... :-)
Mais je présume que la différence est assez théorique (sur ce point en tout cas). Parce que au bout du compte, tu t’adaptes à ton mode de vie, et je suis peu satisfait de ce qui se passe en France.... Tout dépend par quel bout on prend le problème.
Oui, on est assez d’accord, la discussion permet d’affiner le trait et de clarifier des points trop abruptement présentés ou de mettre en évidence des différences entre domaines... Si on n’avait pas été d’accord du tout à la base, je ne sais pas si j’aurais pris la peine de poster (j’ai déjà ma belle-soeur avec qui je ne suis à peu près d’accord sur rien pour ce genre de "débats").
Par contre, non, je ne suis pas spécialement "révolté" (même si la seule manif’ de ma vie fut celle des chercheurs en 2004, je n’ai pas trop l’âme CheGuevaresque). Je suis juste parfois un peu amer ou désabusé (d’être consideré comme un pigeon juste parce que j’essaye de faire de mon mieux le boulot qui me plaît), en essayant de ne pas être aigri. Je ne crois pas non plus qu’il y ait vraiment de "ils", illuminati ou autres au sommet du système de la recherche français qui rigolent en regardant les thésards et post-docs en chier. Ce sont plutôt des comportements individuels trop répandus, des petites piques politiques (les 192h d’enseignement, le gel des postes etc) qui font qu’un système qui marchait plutôt bien il y a 20-30 ans est désormais complètement sclérosé (ce constat peut s’étendre au système éducatif en général, I guess).
Par contre même s’ils m’énervent parfois, je soutiens globalement SLR et SLU (ok ils demandent le bras et ils racontent des conneries parfois, mais visiblement en politique c’est ce qu’il faut faire pour obtenir le doigt) et s’il n’y a que des blasés comme moi le système a toutes les choses de ne pas changer du tout (voire d’empirer encore si la chose est possible). L’effet d’inertie est non négligeable et les jeunes qui gueulaient ont tendance à agir comme les vieux une fois qu’ils sont dans la place.
Après, 2 ans aux US me font également voir que tout n’est pas rose ici non plus, même si ce ne sont pas vraiment les mêmes points qui ne marchent pas bien.
Disons que je prends aussi un malin plaisir à présenter de façon un peu extrême mon point de vue, surtout quand ça permet de raconter des choses différentes des discours plus usuels...
Je ne sais pas si le système Français a empiré depuis 30 ans ; de mon point de vue le problème est surtout qu’il est resté figé dans un monde qui change. Il était approprié à une époque où on ne publiait guère, si ce n’est sa thèse (et on faisait une carrière sur sa thèse, thèse d’Etat s’il vous plaît, qu’on préparait pendant 10 ans !) ; à une époque où il était rare de changer ne serait-ce que de ville, et où on travaillait ordinairement dans le département où on a fait ses études ; où le système était très féodal, on commençait comme assistant d’un Professeur (avec une majuscule), qu’on finissait par remplacer, bien plus tard ; et où il n’y avait pas des masses de docteurs, parce que la formation par la recherche n’était pas encore entrée dans les moeurs et que, quelque part, on n’avait pas une "masse" aussi importante de recherche.
Donc dans les années 70 ou même 80, ça marchait très bien comme ça. Mais le monde a changé autour d’un système qui reste fixe, et qui du coup est totalement décalé par rapport à son époque ; ce qui m’irrite est que plein de chercheurs refusent de le changer (autrement que à la marge), avec des discours du genre "le monde a peut être changé mais c’est lui qui a tort et nous qui avons raison, c’était bien mieux au bon vieux temps, surtout ne changeons pas la philosophie d’ensemble". Je simplifie un peu mais c’est sous-jacent à pas mal de choses quand même.
Après, sur les histoires d’engagement et de SLR and co... Disons que j’ai fait ma part, on doit en retrouver des traces sur google d’ailleurs, et spécifiquement je me suis engagé pour SLR aussi longtemps que j’ai considéré que c’était une force de mouvement. A partir du moment où il a évolué, progressivement, vers un discours finalement assez immobiliste (bon, caché derrière l’argument habituel de "on est pour les réformes mais pas cette réforme", mais enfin au fond des choses, un discours dont l’axe est "on ne change surtout pas la philosophie d’ensemble du système, on ajuste les détails"), j’ai laissé tomber et je me suis rendu compte que je n’avais rien à faire là.
Comme maintenant je ne vois personne dans le paysage qui soit résolument, disons, pro-changement (oui, à la rigueur c’est presque avec le gouvernement que je serais le plus d’accord, mais on ne me fera quand même pas m’associer avec l’UMP, faut pas pousser non plus !), j’en arrive à la conclusion assez désabusée que "ils (toute la communauté, collectivement) peuvent bien faire les c*ies qu’ils veulent, c’est pas mon problème, moi je mène ma vie dans mon coin". Pendant plusieurs années ça a été "dans mon coin et à l’étranger", maintenant c’est dans mon coin et en France et je ne sais pas trop comment ça va se passer ... je n’exclus pas de repartir si vraiment je n’arrive pas à faire ce que je veux ici, d’ailleurs (ah, oui, ils ont oublié de me poser cette question le jour de l’audition. Elle m’aurait bien embarassé, mais elle est tellement étrangère à la mentalité Française que personne n’a été ne serait-ce qu’effleuré par l’idée que je pourrais venir pour moins que toute ma vie :-) ).
Salut J’ai fait "que" 3 ans de postdoc, mais c’était la limite. J’aurais pas pu faire plus. D’abord parceque j’avais envie d’etre mon propre chef et de ne plus avoir a rendre des comptes. Même si de ce coté j’ai toujours eu des "patrons" cools avec qui je continue de collaborer. Dans beaucoup de labo, et plus encore dans les labos Francais, le postdoc c’est juste un super thésard, c’est le mec qui bosse et qui en dit pas trop. Tu es toujours dépendant de quelqu’un, et quelque part tu es toujours tenu par les roubignoles. Voilà pourquoi obtenir un poste fixe c’etait important pour moi car c’était le supplément de liberté qu’il me fallait pour bien vivre mon job.... Pour le reste je suis pas en désaccords avec le texte, même si je suis pas persuadé qu’en remplacant des statutaires par des CDD on fera mieux. J’y crois même pas du tout car plus personne ne voudra aller dans l’académique.
PS : t’aime le foot j’espère ?? :-)))
A+ J
J’ai jamais parlé de remplacer les permanents par des temporaires, comme tu peux le vérifier par toi même en relisant le texte et mêmes les discussions. Tout ce que j’ai dit, c’est que le type de contrat n’est pas forcément la chose la plus importante.
Tu aurais aussi pu avoir la liberté que tu cherches (argument auquel je suis tout à fait sensible, d’ailleurs !) avec des CDD (autres que des post-docs, des CDD où tu ne sois pas directement dépendant d’un patron mais sous un contrat clair avec l’université).
En un sens tu as même plus de liberté en tant que CDD que en tant que permanent, parce que tu es moins pris dans le réseau d’allégeances, de politiques locales ... en un mot tu peux plus facilement tenir un discours sur le mode "si vous me faites ch..r, je pars". Chose que j’ai faite à Stellenbosch, d’ailleurs, avec un certain succès (promotion lecturer -> Snr lecturer il y a un an, obtenu par ce genre de chantage...).
Mais c’est vrai qu’un poste innamovible permet aussi d’avoir une marge de maneuvre différente. Pas tant sous la forme "levier de négociation", mais plus sous la forme "on n’a pas de pression sur moi".... étant bien entendu d’ailleurs que dans les deux cas, c’est à relativiser pas mal.
Sinon pour le foot, vu les brillants résultats de l’ASSE cette saison (on est loin de Roger Rocher et Platini !), je pense que je vais continuer à supporter l’ASM, à la place... tiens, Platini tu crois qu’il avait un CDD ? :-)
Un article du monde sur le sujet :
http://www.lemonde.fr/societe/article/2009/10/05/les-soutiers-de-l-universite_1249443_3224.html
Les principales reactions semblent etre : 1/ pourquoi s’acharner a faire une these si les gens savent tres bien qu’il n’y a pas de debouches dans l’accademique et 2/ les docteurs n’ont qu’a chercher un boulot dans le prive.
Pour le 1/ on en a longuement debatu ici, on ne se rend pas compte de l’ampleur du desastre avant d’etre au pied du mur - et c’est vrai que le systeme universitaire ayant besoin de doctorants qui enseignent pour fonctionner, rien n’est fait pour precipiter la prise de conscience. Ce qui nous emmene au 2/ : un docteur est il employable dans l’industrie en France ? N’ayant pas d’experience directe de la chose, je soupconne qu’a part pour les CIFRE qui ont deja un pied dans la place, ca doit etre difficile, surtout hors du champs des sciences appliquees. (mais je peux me tromper).
Donc au final, on a un joli catch 22 : les doctorants sont naifs et pleins d’espoir jusqu’a ce qu’ils se rendent compte une fois la these en poche qu’il n’y a pas de boulot pour eux ni dans l’accademique, ni dans l’industrie. Dans un cas comme dans l’autre, il semble qu’hors l’expatriation, point de salut. La tableau n’est pas tres gai.
Bon, je vais lancer un autre troll comme ça on déplacera les commentaires un peu plus loin... sur le point 2 en vitesse, je dirais quand même que pour avoir une "méfiance réciproque", il faut être deux. Oui, les industriels Français n’aiment pas tellement les docteurs (encore faudrait-il relativiser, en géologie des endroits comme Areva ou le BRGM sont plutôt accueillants ; et je n’ai pas entendu dire que les docteurs en informatique aient du mal à trouver un emploi privé, par exemple).
Mais les thèsards ne s’imaginent pas travailler dans l’industrie, à la fois faute de le vouloir ("berk, c’est privé, c’est sale") mais aussi faute de réaliser qu’ils ont des compétences vendables : un docteur n’est pas un spécialiste de la patte arrière gauche de la mouche femelle, c’est un niveau master avec 3 ans d’expérience professionelle avec définition et conduite de projet, mise en place de protocoles, compétences analytiques, rédaction de rapports... Il appartient aussi aux docteurs de réaliser que c’est ce genre de compétences qu’ils peuvent apporter.
(Une expérience personelle : à 35 ans, je viens pour la première fois de faire une mission pour des privés, une boîte d’explo qui cherche de l’or dans un coin improbable. Je n’ai jamais fait ça de ma vie, je ne connais rien à la géologie de l’or, encore moins aux mines et aux questions de géologie appliquée. N’empêche que sur le terrain, je ne crois pas avoir été ridicule : parce que ce que j’ai vendu, ce ne sont pas mes compétences en explo, ce sont des compétences en géologie, terrain, cartographie, etc., toutes choses qui ne sont pas, en elles-mêmes, le sujet de ma recherche fondamentale mais qui sont simplement des compétences indispensables pour la réaliser. Bref, si il le fallait, je n’aurais aucun mal à aller travailler à plein temps pour ce genre de compagnie, il me faudrait quelques mois pour me mettre dans le bain et après je serais aussi opérationnel que n’importe qui... Ce dont les gens ont besoin ici, c’est d’un géologue compétent, quel que soit le sujet sur lequel il ait travaillé plus tôt.)
Sur l’expat, je me répète mais enfin quand on est dans une branche où il y a 200 jobs par an au monde (et 20 en France), bon, faut être réaliste aussi...
Je suis assez d’accord avec toi sur les relations avec les industries. Je crois que, dans l’ensemble, les industriels sont bien moins opposés aux docteurs qu’on peut le dire. Bien sûr, il y a quelques zouaves qui vont refuser par principe d’embaucher un docteur. Mais dans l’ensemble, j’ai eu le sentiment dans ma thèse (dans un labo très lié à des industries — trop au goût des labos voisins, bien sûr, mais qui ne manquaient pas de se gargariser des réussites de ce labo dans les réunions avec les Grand Chefs, mouarf) que c’était aussi pour beaucoup de thésard à peu près inimaginable de faire autre chose que de la recherche publique...
Il faudrait aussi que les gens se rendent compte que la recherche privée, ça n’est pas non plus un truc horriblement appliqué et où on ne cherche qu’à gagner des sous tout de suite. Pour parler de ce que je connais un peu, les majors pétrolières ont des chercheurs qui peuvent passer des années à poursuivre leur pet-project, en publiant vaguement de temps en temps et sans rien de concret. Et des projets qui donnent des résultats en 2-3 ans. Et d’autres en 6 mois. En fait, le même genre de choses que ce qu’on trouve dans les facs ! Évidemment, il y a relativement peu de recherche fondamentale (encore que, Peter Vail et la stratigraphie séquentielle de chez Exxon, c’est quand même assez fondamental...), ou alors via des consortiums universitaires, mais bon, je ne suis pas sûr que la plupart des recherches académiques soient si "fondamentales" que ça.
Il y a aussi que, quoiqu’on fasse, c’est un diplôme d’élite et qu’il n’y a que peu de postes, et avec toute la bonne volonté du monde il y a peu de chances pour qu’un poste soit disponible dans le voisinage géographique proche. Personne ne s’étonne qu’un sportif de haut niveau ou un artiste ait besoin pour sa carrière d’aller à l’autre bout de la France ou du monde, mais pour des chercheurs (qui ne sont pas beaucoup plus nombreux) ça ne serait pas normal ?
"je dirais quand même que pour avoir une "méfiance réciproque", il faut être deux".
Si l’expression "méfiance réciproque" est tirée de mon article, oui, je suis d’accord et c’est ce que j’ai essayé de dire dans l’article, "il faut être deux" (je dis un truc du genre difficile de définir les responsabilités de chacun blablabla).
Il y a c’est vrai des universitaires qui considèrent les industriels comme le diable incarné (encore que, plus ou moins forcé, ça change, vu que de plus en plus de financements viennent de là et que c’est pas avec les crédits CNRS que la science va avancer).
Il y a, c’est encore vrai, quelques boîtes qui aiment bien les docteurs (encore heureux). Mais encore faut-il que ce doctorat soit bien proche de leurs thématiques (je veux pas dire non plus par là qu’un docteur en histoire médiévale devrait être légitime pour un poste de physicien nucléaire).
Mais il y a aussi pas mal de mes potes ingénieurs-docteurs qui galèrent un peu à trouver un taf parce que les drh les regardent bizarrement (sûr, c’est pas le meilleur moment pour chercher du taf, mais ils auraient sans doute mieux fait de s’arrêter au diplôme d’ingé, parce qu’ils seront de toute façon pas beaucoup mieux payés). Mais quand même, dans mon département US, toutes les grosses boîtes viennent 1 à 2 fois par an démarcher à leurs frais les étudiants sur le point de soutenir et les post-docs. Le jour où un truc comme ça arrivera en France, les mentalités auront vraiment changé, je dirais. Quand le salaire d’un PhD à l’embauche sera 1,5 fois ou 2 fois supérieur à celui d’un ingénieur (comme c’est le cas aux US) aussi...
Je ne sais plus d’où je sors l’expression de "méfiance réciproque", de chez toi ou d’ailleurs ... De toutes façons elle est plus ou moins dans le langage commun.
Sinon, globalement d’accord avec ta comparaison, bien sûr que la situation est un peu particulière en France de ce point de vue...