Le 27 avril 2010, par Jeff,
Une jolie illustration du fait que de nombreux blocages, dans le monde universitaire Français, sont psychologiques plus que matériels ou réglementaires ; il est ici question du problème du recrutement, et de la forme préhistorique qu’il prend en France – on en a assez discuté sur ce site, comme sur à peu près tout les sites de chercheurs vivant ou ayant vécu à l’étranger. A peu près tout le monde s’accorde sur deux constats :
D’une part, que le mécanisme des auditions (de 15 mn, avec déplacement aux frais des candidats, etc.) est inefficace, inadapté, et indigne d’une université moderne ;
D’autre part, qu’il est quasiment impossible de le changer, faut de budget et à cause des contraintes réglementaires (égalité des chances etc.) qui pèsent sur les recrutements publics.
Or hier, il se trouve que j’étais au téléphone avec un copain, directeur [1] d’un (assez grand) département de géologie français … [2] Ce département a plusieurs postes à pourvoir cette année, et mon collègue, qui a fait sa thèse dans un pays civilisé où on sait ce que veut dire « interview », a décidé qu’il n’était plus acceptable de prétendre recruter les gens sur un entretien de 15 mn.
Après la phase de sélection sur dossier, le département de géologie de X… a donc invité pour une journée chacun des 4 ou 5 candidats présélectionnés. Invité, ça veut dire que c’est aux frais du département. Chaque candidat a passé la journée au labo, à rencontrer des gens, discuter avec les responsables enseignement et recherche ; il ou elle a présenté un séminaire de recherche, public et ouvert à toutes les personnes intéressées.
La seule chose dont il n’a pas été possible de se débarrasser, c’est l’audition proprement dite. Il aurait, bien sûr, été possible de la caser dans la journée ; mais ça imposait de faire venir les membres de la commission 5 fois, 5 jours différents, ce qui est presque impossible vu les emplois du temps des uns et des autres. Il reste donc des vraies auditions, toutes les 5 le même jour ; elles ont été portées à une demi-heure de présentation et une demi-heure de discussion (je ne sais pas comment ça se passe au niveau des frais de déplacement des candidats à ce moment ; mais à priori, dans ces conditions, une vidéo-conférence devient très envisageable puisqu’une rencontre physique a déjà eu lieu).
On se doute bien que cette idée suscité pas mal de résistances. D’abord, les gens des ressources humaines ont estimé que l’égalité des chances pouvait ne pas être respectée puisque « on n’est pas sûr que les mêmes personnes assistent aux 5 séminaires de recherche ». – « Bullshit », a répondu en substance le collègue, « fichez-nous la paix avec cette conception purement formaliste de l’égalité des chances, parce que si on va par là où est l’égalité entre celui qui arrive le matin en bus et celui qui sort d’une nuit d’avion, celui qui est venu faire un séminaire et les autres, etc ». Ensuite les gens du labo ont objecté que « ça faisait bien beaucoup d’argent dépensé » ; – « mais quel meilleur usage peut-on faire des sous du labo, qu’assurer le meilleur recrutement possible ? ». « Et en particulier, est-ce que ce ne sera pas de l’argent perdu si aucun des candidats ne vient pour finir occuper ce poste ? Après tout, si notre bonne ville de X a un patrimoine architectural reconnu, sa situation géographique n’est pas des plus attractives … » ; – « De nos jours, les chances qu’un poste ne soit pas pourvu sont faibles. Mais plus fondamentalement, un chercheur ne choisit pas son poste sur de simples critères géographiques ; son environnement de travail compte aussi. En ne traitant pas les candidats comme du bétail, nous leur montrons au contraire notre labo sous son meilleur jour et nous leur donnons envie de nous rejoindre ; en les rencontrant une journée, nous avons une chance de les convaincre que c’est chez nous qu’ils ont envie de venir, et pas chez la concurrence ».
Evidemment, le système n’est pas encore parfait. En particulier le fait que les membres de la commission ne soient pas présents pendant la journée de séminaire est un peu gênant ; le fait de déconnecter l’audition « formelle » de la journée de rencontre aussi. On atteint là la limite de ce qu’on peut faire dans le cadre réglementaire actuel. N’empêche que la démonstration est assez jolie : si il y a une volonté, on peut faire nettement mieux que la procédure actuelle – sans changer une virgule des textes.
Chiche ?
[1] Eh oui, j’ai des copains directeurs de département, ce qui ne me rajeunit pas
[2] A sa demande, je me permettrais de ne pas le nommer – la manip est pour le moment assez expérimentale, et il préférerait rester discret tant qu’on n’a pas vu que ça marche, sans que des pisses-vinaigres quelconques y trouvent matière à recours etc. Evidemment, à terme, le but est de faire connaître aussi largement que possible les résultats de cette expérience, pour montrer que c’est possible … et du coup, ringardiser en une journée tout ceux qui ne le font pas. Pour le moment, restons allusifs ; si vous reconnaissez l’endroit dont il est question, par exemple parce que vous y êtes candidats, je vous serais reconnaissant de commenter sans citer de noms.
Au département de Chimie de l’ENS rue d’Ulm, j’avais vu un poste ou l’audition est aussi portée à 1h, 30 minutes de présentation et 30 minutes de questions. Dans la fiche de poste il était aussi clairement précisé ce que le dossier de candidature devait contenir (oui, ça parlait de projet de recherches en dépit du sacro-saint "à l’exclusion de toute autre pièce" qu’on voit au JO), et ils annonçaient aussi que seulement 4-5 candidats seraient retenus à l’audition et qu’ils seraient convoqués pour "discuter" au laboratoire avant l’audition.
Est-ce que parce que l’ENS, de par son prestige, peut faire un peu ce qu’elle veut (c’était un poste ENS, pas un poste affilié P6 ou P7) ?
http://www.ens.fr/spip.php ?article161#n4
(voir la section Chimie).
Sur la page galaxie était en plus détaillée comment l’audition se déroulerait (1h etc).
Mais rien que sur cette page, le "Parallèlement à cette procédure officielle, il est demandé à chaque candidat(e) d’envoyer par courrier électronique avant le 25 mars une lettre d’intention etc" me semble potentiellement contestable si c’est bien un recrutement "normal".
après tout il y a des gens qui osent tout.....
Oui, c’est même à ça qu’on les reconnaît...
(tu aurais été déçu que je ne la fasse pas, celle-là !)
Bonne iniative, j’espère que tu feras un autre billet pour tirer le bilan de cette expérience, en particulier si le meilleur candidat aux pré-auditions a remporté le poste (ou pas). Comme je l’avais dis sur le blog de Mix, je soupçonne que derrière ces journées de préauditions il n’y aie pas parfois plutôt une volonté de court-circuité les commissions de recrutements composée a 50% d’extérieurs pour continuer a favoriser les candidats locaux. Simple hypothèse, dans le cas ici, celà semble etre plus une démarche "qualité" vers un recrutement plus objectif...
A+ J